660 REVUE DES DEUX MONDES. et mettre Mérimée en dehors du romantisme, ce serait la même sottise que d'en exclure Stendhal et Balzac. Classique par son sens de la mesure, son souci de la composition, la sùreté de son analyse, la concise netteté de sa facture, il est romantique par son exotisme et son pittoresque, son modernisme, son dandysme à la Byron, la hardiesse de ses peintures, son goùt du macabre et du surnaturel, ses prédilections si marquées pour les passions excessives, les brutes énergiques et les réfractaires. Il est un romantique à froid, anti-lyrique et, qu'on me passe le mot, anti-verbeux. Ou, pour mieux dire, il est lui. De tant d'influences différentes ou contradictoires qui se combinent en lui avec son tempérament, avec son intelligente curiosité, ses ardeurs sèches, son ironie native, résulte cet art si personnel, cet art réfléchi, savant et composite, d'une saveur rare, unique même. Non que j'admire en bloc et de parti pris tout ce qu'il a publié à partir de 1829 et jusqu'à 1834. Chaque fois que j'ouvre le volume où il a réuni sous le titre de Mosaïque toutes seE productions d'alors, sauf la Double méprise et les Ames du Purgatoire, je m'étonne d'y rencontrer les Mécontents. Cette petite comédie de salon qui veut être satirique, où il s'égaie aux dépens d'une comtesse et de trois ou quatre hobereaux vendéens ou poitevins conspirant contre Napoléon Ier, n'est qu'un agréable badinage ; elle a l'air d'avoir été écrite trente ans plus tard par Edmond About, Octave Feuillet, ou Gustave Droz, pour une fête au château de Compiègne. Tarnanyo atteste que, sans être fort tendre, il était à ses heures « âme sensible » comme les mondains du xvnie siècle avec qui il a plus d'un lien de parenté, mais, au fond, les malheurs de son nègre et de sa négresse ne le touchent pas plus que nous. Il ne me parait pas prouvé non plus que la Double méprise soit un chef-d'oeuvre. Le titre même est-il clair ? Il signifie apparemment dans la pensée de l'auteur que Mme de Chaverny se trompe en se donnant si vite à Darcy dont elle se croit aimée, et que Darcy ne se trompe pas moins sur elle en la prenant pour une vulgaire coquette ; mais le commandant de Chateau fort s'est aussi trompé sur le compte de filme de Chavernv et celle-ci sur le compte de son mari, et cela fait bien des méprises successives. Et puis, qu'est-ce que cette histoire de femme turque qui se greffe sur le tout et forme une parenthèse de douze pages ? Le seul intérêt de la Double méprise pourrait |