654 REVUE DES DEUX MONDES. Déjà, en 1826, avec Gérard, Delacroix et Duvergier de Iiauranne, il a fait un séjour en Angleterre ; il y a exploré tous les mondes, depuis les salons aristocratiques jusqu'aux faubourgs, depuis l'atelier de Thomas Lawrence jusqu'aux bouges de Whitechapel ; il y a suivi sir Robert Wilson dans sa tournée électorale et s'est plu à voir échanger de beaux coups de poing. I1 y retournera en 1832. Pour l'instant, c'est en Espagne que son insatiable curiosité l'entraîne, et là comme ailleurs il circule les yeux bien ouverts, attentif à tout ce qui a du caractère et de la couleur locale. Il va jusqu'à Algésiras et Cadix, à dos de cheval ou de mulet, à pied ou en diligence. Il fraie avec des gens de toute classe, avec des grands seigneurs et des gueux, de préférence avec les gueux, qui sont plus pittoresques et plus expressifs, avec des muletiers, des toréros, des contrebandiers, des cigarières de Séville, et, certain jour,il boit à la même outre que des galériens. Sur l'album qui ne le quitte pas, il dessine des silhouettes ; il en dessine d'autres d'un trait de plume en écrivant à Stapfer ou à Sophie Duvaucel : « Figurez-vous une petite femme noire avec des dents blanches comme la porcelaine de Sèvres, des yeux et des pieds de même grandeur, et les cheveux qui traîneraient à terre si on ne les rattachait sur le haut de la tête avec un peigne de dix pouces de haut... » Il a le regret de n'être pas dévalisé en cours de route par les voleurs de grand chemin ; du moins entend-il parler d'eux par le postillon ou l'aubergiste, et s'il sait qu'une pendaison va avoir lieu, il y court. Ainsi s'accumulent et peu à peu se classent dans sa tête les observations neuves et les multiples traits de moeurs qui passeront soit dans ses Lettres d'Espagne, soit dans les Aines du Purgatoire et dans Carmen. Point de voyageur plus curieux que lui, ni plus amusant. Entre temps, la révolution de Juillet s'est faite : il s'en est à peine aperçu et très peu préoccupé. Ce ne sont pas là ses affaires. Au retour, pourtant, il en subit les conséquences : il est incorporé dans l'artillerie de la garde nationale, dans la quatrième batterie, surnommée « la Meurtrière » à cause du grand nombre de médecins qui servent dans ses rangs. Trois fois par semaine, de six à dix heures du matin, dans la cour carrée du Louvre, il fait l'exercice en habit bleu, avec des épaulettes, une fourragère rouge, une flamme de crin rouge à son shako, des bandes rouges à son pantalon. Maussade corvée, mais |