492 REVUE DES DEUX MONDES. * k * Encore une fois, tout cela n'était, dans mon âme d'enfant, qu'une impression confuse, sentiment d'inquiétude et de malaise, d'ailleurs très passager. J'étais tout à la joie d'être entré au collège, ce collège qui, d'avance, m'avait tant épouvanté. En réalité, ce n'était pas précisément un collège. L'établissement, dirigé par un prêtre, enfant de la localité, s'intitulait modestement : « institution secondaire libre. » Il datait de la guerre, il en était né, si l'on peut dire. Dans l'esprit de son fondateur, il devait suppléer à la fois le petit séminaire de Montigny et le collège de Thionville, où les bourgeois et les paysans riches de notre région envoyaient leurs enfants commencer leurs études. L'abbé, qui ouvrit cette maison d'éducation, se lança dans l'entreprise avec plus d'enthousiasme et de zèle patriotique, et, il faut bien le dire aussi, avec plus de vanité personnelle, que de prudence et d'esprit pratique. Il espérait être aidé par la municipalité, il escomptait surtout pour cela, le triomphe de la France conservatrice : toutes ces belles illusions eurent le sort que l'on sait. Cette institution cléricale fut dénigrée et minée sourdement par les adversaires politiques de l'abbé, qui s'était jeté ardemment dans la lutte. Elle sombra dans la débàcle du Seize Mai. Au moment où j'y entrai, tout était encore à l'espérance. L'abbé avait le sourire. Je fus accueilli avec des tapotements de joues et des paroles caressantes par un homme qui parlait d'or, qui semblait prodigieusement savant et qui avait dans toute la ville une réputation de bel esprit, bien qu'on ne l'aimât point et qu'on redoutât ses traits caustiques. J'en étais ébloui et charmé. J'avais l'impression de pénétrer dans un monde supérieur. Mes nouveaux camarades, comme l'abbé lui-même, m'inspiraient infiniment de considération. Fils de bourgeois et de fonctionnaires pour la plupart, il me révélaient des élégances de tenue et de langage, insoupçonnées de nos petits rustres de Spincourt. Leurs jeux, pourtant les mêmes que làbas, me paraissaient autrement distingués : j'y jouais de bon coeur, comme je n'avais jamais joué de ma vie. Enfin, j'étais heureux. J'avais trouvé un milieu plus en harmonie avec mes goùts et mon éducation... Et pourtant, quand j'y songe, nous vivions là dans un inconfort, pour ne pas dire dans une |