652 REVUE DES DEUX MONDES. Le jeune Mérimée se mêle le plus qu'il peut à ces fêtes galantes de la Restauration, mais sans négliger ses travaux, sans renoncer à ses ambitions littéraires. Car la vocation commence à parler. Ses parents eussent souhaité qu'il fùt avocat ; mais, plus complaisants ou plus clairvoyants que ceux de Ealzac, ils le laissent libre d'orienter sa vie comme il veut, et ce qu'il veut, c'est une place, une place au premier rang, parmi les écrivains en renom. Il veut le succès, et il est si adroit, il a tant de savoir-faire et d'entregent, que le succès lui viendra vite, d'emblée. Il se fait de bonne heure de nombreux amis ou tout au moins de nombreuses relations dans le monde des lettres. Par Jean-Jacques Ampère, son camarade de collège, il se lie dès 1820, à dix-sept ans, avec Albert Stapfer et Victor Cousin ; par lui il est introduit à l'Abbaye-au-Bois, approche de Mme Récamier, qu'il « ne peut souffrir », et de Chateaubriand qu'il juge « insupportable », cause avec Augustin Thierry, Villemain, Montalembert, Tocqueville, Benjamin Constant, Latouche, Delacroix, David d'Angers. Il se répand, il se pousse. Un an ou deux après, il est intime avec Stendhal, qui aura certainement de l'influence sur lui, avec Jacquemont et Lingay, qui n'en auront pas moins ; il est reçu chez le bourgeois lettré Delécluze, chez qui s'affrontent classiques et romantiques. Sans hésiter, il prend parti pour la nouvelle école. En 1824, il ébauche un drame byronien, la Bataille, dont le manuscrit s'est conservé, et un Cromwell, plus ou moins shakspearien, qu'il lit chez Étienne, mais ne fait pas imprimer, et dont il ne reste rien, Mais, en 1825, il publie le Tliéàtre de Clara Gazai, comédienne espagnole, et, deux ans plus tard, la Guzla, ou Choix de poésies illyriques, recueillies dans la Dalmatie, la Bosnie, la Croatie et l'Herzégovine, et les deux ouvrages font du bruit. Ils ne sont, à vrai dire, que des supercheries ; il n'a pas plus visité l'IIerzégovine que la Dalmatie, et quant à la « comédienne espagnole », il a posé lui-même, une mantille sur sa tête, pour le portrait d'elle qu'a dessiné Delécluze, qu'a lithographié Ary Scheffer, et qui orne quelques exemplaires de la première édition. Mais il y a bien de l'habileté dans ses mystifications ; elles font des dupes, et plaisent même à ceux qui ne sont pas dupes. En fait de pastiches, il est un maître. Depuis longtemps il pratiquait les chefs-d'oeuvre dramatiques de l'Espagne et surtout ceux de Calderon ; pour les chants |