646 REVUE DES DEUX MONDES. Les maraîchers de la banlieue s'alarmaient un peu plus. En cette saison, d'habitude, Saint-Omer déversait vers Paris, d'heure en heure, des trains entiers de légumes. L'été était si beau, en cette malheureuse année, la saison si propice ! Les canaux étaient sillonnés de bateaux débordants de magnifiques choux-fleurs, qu'on offrait pour quelques sous de villages en villages, et en vain. Saint-Omer pourtant n'a pas vu la nouvelle invasion des barbares. Ils sont barrés dans leur effroyable « course à la mer », et nous voyons débarquer nos alliés ! Qui donc aurait pu le croire, au temps des ancêtres, aux jours où, du haut de leurs remparts et armés jusqu'aux dents, les gens de Saint-Omer voyaient voltiger sur leurs chevaux les chevaliers de Buckingham ? Qui des ancêtres l'aurait cru, qu'un jour les Anglais viendraient là en amis, et que la vieille ville forte de la guerre de Cent ans les accueillerait le sourire aux lèvres ? Ainsi fut-il pourtant ! A partir de la fin de septembre, nos alliés commencèrent à débarquer à Dunkerque, à Calais, à Boulogne. On les voyait passer à la gare par trains entiers ; puis, jour par jour, on les vit paraître sur tous les points de la région : ici I là 1 au nord ! au sud ! Ils paraissent ; ils disparaissent : c'étaient de furtifs, de rapides auto-torpilleurs qui exploraient précipitamment les routes, s'y croisant souvent avec les autos allemandes, qui peu à peu reculaient au contact des Anglais, et disparaissaient. Les soldats qui montaient ces voitures d'exploration se dissimulaient sous des costumes si semblables, qu'on ne savait pas bien nettement qui l'on avait vu passer, amis ou ennemis. Il ne fut bruit, certain jour, dans le pays, que d'un bourgeois de Saint-Omer qui s'en était allé, un soir, du côté d'Arques, faire une promenade sur la grande route. D'une auto brusquement arrêtée, une voix, en assez bon français, lui avait demandé : - Avez-vous vu les Anglais ? - Certes oui ! Une voiture anglaise a enfilé la route à l'instant dans cette direction ! Peut-être pouvez-vous la rejoindre. Et, voyant son interlocuteur se sauver en sens inverse, le bon promeneur s'avisa, alors seulement, qu'il venait de voir des Boches ! C'est tout ce que Saint-Orner en vit. Au bout de peu de jours, la ville reçut des Anglais en foule. Et presque aussitôt commença le jeu des torpilles ennemies. On s'énerva un peu tout |