642 REVUE DES DEUX MONDES. penser. Combien compte-t-on de siècles entre Adroald et nous ? Un peu plus de douze ; qu'est cela ? Rome nous montre les traces directes de vingt siècles, Athènes de vingt-cinq et je ne parle pas des grands empires de l'Orient, qui sortent intacts de leur poussière après cinquante, soixante siècles et plus encore. Mais nous sommes ici dans des pays qui n'ont pas cessé de vivre, et dans le climat du Nord qui impose l'incessant renouvellement. Pourtant ce qui nous reste de dc ; bris du passé dans l'Artois du Nord vaut la peine qu'on en parle, et on aurait tort de se plaindre. D'abord Saint-Omer a ses lieux de conservation méthodique, bibliothèque, archives, musée ; et cela ne peut pas se tflire. Le tout est savamment organisé. Le musée a des pièces rares, tel ce fameux pied de croix d'orfèvrerie qui fait le voyage de Paris pour les grandes expositions. Quelques-uns des manuscrits de la bibliothèque, venus de Saint-Bertin, sont de grandes merveilles. Les archives sont parmi les plus riches et rares qui soient. Loin de moi la pensée de dédaigner ces refuges de science et d'art, peuplés d'admirables reliques d'autrefois ! J'y ai passé de trop douces heures. Je ne dirai pas, comme je ne sais quel Anglais : les objets d'art dans les musées n'ont pas plus de vie que les oiseaux empaillés dans les galeries d'histoire naturelle ! Aimons bien ces discrets abris. Mais ils ne sont pas tout : les antiquités nous parlent plus quand elles sont maintenues à leur place. Il en reste plus d'une au pays dont je parle. Il a eu comme d'autres ses destructions méthodiques, qui ne sont pas toujours dues aux guerres et aux révolutions, mais aussi au mauvais goût. Un historien a été chercher d'anciens aperçus de Saint- Orner, dans un de ces plans en relief des places fortes qui datent de Louis XIV, et se conservent à Paris au Musée de l'armée. Je regarde à la loupe, et j'aperçois de beaux monuments aujourd'hui disparus : l'ancien Hôtel de ville, la chapelle de Notre-Dame des Miracles. C'étaient deux merveilles à l'antique place du marché, lieu de réunion, depuis des siècles, du peuple de la ville. L'Hôtel de ville ! C'est au XVIIIe siècle qu'on l'a détruit, pour le remplacer par un cube de maçonnerie, dont le mieux est de ne rien dire. J'ai plus de regret encore pour la chapelle. Elle était là, posée comme au hasard au milieu de la place, haute, flue, élancée, bâtie en pierre au XIIIe siècle, à la place de la chapelle de bois que le peuple avait dressée, aux temps barbares, pour sa |