6 i0 IiEVIJE DES DEUX MONDES. Elle a ses tombes ! Trois tombes surtout d'où je sens sortir, en méditant sur elles, de grandes résurrections. Ce sont les tombes de trois évêques. L'une est dans le bas côté de gauche à la hauteur du choeur : c'est le tombeau d'un évêque de Thérouanne des âges primitifs. La seconde et la troisième sont placées l'une en face de l'autre, des deux côtés de la grande nef : l'une est le monument élevé au mile siècle, à saint Orner le patron, et l'autre le monument d'un évêque du xvie siècle, d'une grande famille. Ces trois monuments n'ont pas toujours été aux places où nous les voyons ; ils ont été plusieurs fois, comme il arrive, transférés d'une partie à l'autre de la cathédrale. L'un, celui du xvle siècle, a subi une profanation : à la Terreur, le trop fameux Lebon lui a soustrait une statue de la Foi pour en faire une Déesse Raison. Ces témoins des siècles ont couru des aventures, niais toujours dans cette église qu'ils n'ont jamais quittée, et où, témoins des siècles, ils restent présents. Le cercueil de saint Erkembode, soutenu encore par deux des quatre figures barbares de lions, qui ont dû primitivement le supporter, est de pierre fruste, rudement taillée. Le saint homme pour qui il a été fait, est un abbé de Sithiu et un évêque de Thérouanne. C'est un homme du ville siècle : il a connu, sur leurs vieux jours, les moines qui ont accosté le rivage de la villa d'Adroald. Il nous ramène aux âges primitifs. Ce sentiment de l'antiquité survit jusqu'à nous, dans une dévotion populaire. On peut voir parfois en passant, une femme qui s'agenouille près du cercueil de pierre, et qui coule dans une fissure un chapelet, des médailles, un ruban. J'admire son geste héréditaire. Elle cherche encore là quelque vestige des bénédictions que les saints fondateurs ont jetées sur des femmes et des enfants de sa race. La tombe de saint Orner est de cinq siècles postérieure, oeuvre du grand âge de la sculpture et de la civilisation chrétiennes, de ce xIIIe siècle qui fut pour la ville le temps de sa gloire et de sa prospérité. Tout dans ce monument est serein et pacifique ; ce sont, tout alentour du socle, d'aimables basreliefs, sincères et délicats, qui nous racontent, après les ans passés, les miracles du Saint. Et lui, l'évêque, il repose, crossé et mitré, grave mais doux, avec un sourire lumineux. C'est l'image de la paix. |