621 REVUE DES DEUX MONDES. tranquille civilisation d'aujourd'hui. Nous ne pensons pas assez qu'il a traversé dix-sept siècles, entre la conquête romaine et le retour définitif à la France, entre César et Louis XIV, comme une sentinelle avancée, exposée aux premiers coups de toutes les attaques. Les Morins, dit un vers latin de la décadence. intractabile vulgus ! Ils avaient eu besoin, certes, d'être un « peuple intraitable ». Que d'aventures avant la fondation de Sithiu ! Que d'aventures après ! Ce coin de Gaule enfoncé dans le Nord a eu à soutenir la première coulée de toutes les invasions successives. Déjà au ve siècle, sur le dos des Romains (et par-dessus Thérouanne, la ville des Morins), on a vu passer tout le flot des Germains, Suèves, Alains, Vandales ; tous les peuples ont foulé cette terre, y compris même les Huns et Attila. Seuls nos Francs Saliens n'ont pas passé ; ils ont gardé les postes du Nord et fondé un royaume. De ce passage, l'ancienne Morinie a pris la langue et les noms des Germains : les villes furent tellement noyées par le flot barbare, qu'on les aurait crues transportées en Germanie. On se mit à parler thiois ; on l'a parlé des siècles. III Le peuple intraitable n'était pas d'ailleurs un peuple sans industrie. Avant et après les invasions, il a des heures pacifiques. Là où il nous est donné de les voir directement, à Sithiu et alentour, les Morins font preuve d'habitudes industrieuses. Ils s'adonnent à la chasse et à la pêche ; ils cultivent la terre ; ils montent des moulins pour moudre le grain ; ils avaient une tradition, déjà ancienne, de faire paître des moutons et de tisser leur laine. Autour du tombeau de saint Orner, mort centenaire, Sithiu s'était accru singulièrement, en bas et en haut de la colline. Autour du couvent tout un peuple grouille. On défriche, on cultive. Je vois un marché se former le vendredi, se réglementer ; le revenu en est appliqué au luminaire de l'abbaye On bâtissait d'ailleurs tout alentour : on disait merveille du grand moulin d'Arques, mù par les eaux descendant des collines ; (ces mêmes eaux, sans doute, dont la chute ingénieusement équilibrée, dix siècles plus tard, devait mouvoir |