622 REVUE DES DEUX MONDES. symétrique et régulière. Si l'on a gagné sur lui des champs, des jardins, des prairies, des chaussées, c'est en lui faisant sa place, en lui concédant, parmi les terres cultivées, des canaux, des routes d'eau, des fossés, et même en le laissant s'étaler en de vastes étangs. L'un de ces étangs est si vaste qu'on a pu l'appeler par emphase la Grande mer. L'autre, tout coupé d'îlots touffus, s'appelle Rommelaere, d'un nom flamand qui veut dire « fouillis, fatras, confusion ». Si ces aspects aquatiques des environs de Saint-Omer subsistent encore aujourd'hui, on mesure ce qu'ils purent être pendant bien dés siècles, longtemps après que Sithiu fut devenu Saint-Bertin et que fut née la ville de Saint-Omer. Lorsqu'au xlle siècle, les fils de saint Bernard viendront fonder une abbaye au bord du golfe, ils l'appelleront, à l'imitation du nom de Clair-vaux, Clair-marais. Et d'ailleurs, il n'y à pas longtemps qu'ont disparu certaines singularités des marais de Saint-Omer : on a connu encore des vieillards pour raconter comment, dans leur jeunesse, par les beaux jours, ils s'en allaient, en bateau, de la ville à Clairmarais. Et, chemin faisant, on s'arrêtait pour mettre le pied sur quelqu'une des fameuses « îles flottantes », amas de tourbe, de terre, de feuilles, que les racines de quelques arbrisseaux liaient ici ou là, jusqu'à ce que le vent les arrachât pour les pousser ailleurs. Il y a sur ces « îles flottantes » toute une littérature, à commencer par un gros livre du XVIe siècle. Au Xixe siècle, chacun voulait avoir une fois au moins posé le pied sur ce sol fabuleux, duquel les gens instruits prélevaient des échantillons, pour les envoyer à l'Académie des sciences. Il n'y a pas plus de cinquante ans que les « îles flottantes » ne flottent plus. Il reste du moins une culture flottante, des champs dont les récoltes ne s'enlèvent qu'en bateau, et sur lesquels le bateau dépose le matin les chevaux pour le travail, et les reprend le, soir. Le bateau ne sert pas seulement à la culture,. mais à la vie : on a vu passer sur l'eau des noces et des enterrements. D'ailleurs point n'est besoin d'aller à la rame sur les étangs, les allées d'eau et les fossés des paysages humides. Qu'on suive seulement les chaussées des canaux, du canal de l'Aa, ou de celui qu'on appelle Neuf-Fossé (d'un nom vieux de mille ans) ; combien ne pourra-t-on découvrir de poèmes fantastiques ; par les eaux, les reflets changeants et les brumes irisées ? |