618 REVUE DES DEUX MONDES. Napoléon en notre siècle a été profonde et souvent décisive. Mon opinion est que presque toujours il fut le bon génie qui conseille le bien et n'est pas responsable des fautes. Mais combien, à cette heure solennelle de la mort, il est téméraire de parler d'infaillibilité ! Le prince Napoléon put se tromper, mais si cela lui arriva, ce fut par hauteur de nature et par l'entraînement d'une généreuse pensée. La France reconnaîtra un jour que jamais coeur ne battit plus à l'unisson avec le sien. Quel précieux souvenir je garde de ces heures où son feu intérieur s'épanchait en une conversation enivrante ! Sa sincérité, son amour de la vérité, sa rare sagacité m'enchantaient. La dure loi de l'exil rendait pour moi bien clairsemées ces journées de bonheur. Mais songer que je ne le verrai plus : voilà ce qui est cruel, ce qui me déchire le coeur. Revenez vite, chère princesse, pour que nous puissions parler de lui, pour que je sache de vous tant de choses que je voudrais entendre sur cette grande et sublime mort ! Un destin étrange a voulu que le moment de notre mort fût le plus important de notre vie ; et ce devoir suprême, nous l'accomplissons au milieu des tortures du corps et de l'anéantissement de nos forces. Le prince a vraiment montré qu'une grande àme est maîtresse des organes qui la servent. Les récits de cette noble fin ont enlevé le public ; l'admiration a été universelle. Mon Dieu ! quelle énigme que celle de notre passage ici-bas ! Si quelque chose doit nous rassurer sur la fragilité de notre sort, c'est la vue de ces illustres exemples de courage et de fermeté. Veuillez croire, chère princesse, aux sentiments de haute sympathie avec lesquels nous avons suivi Votre Altesse, dans ces semaines d'angoisse ; ma femme se joint à moi pour vous présenter l'hommage du plus profond respect. E. RENAN. |