606 REVUE DES DEUX MONDES.'mauvais traitements d'un maître, était venue chercher asile dans cette chapelle auprès du « Santo sultan des Français », le bey avait déclaré : cette famille sera libre, et désormais tout enfant qui naîtra de parents esclaves sera libre (I). Un prêtre de France, l'abbé Bourgade, était venu s'installer là, comme aumônier : quelque temps durant, avec le concours de Soeurs de Saint-Joseph de l'Apparition, il avait essayé de donner une vie à ce sanctuaire, de faire prospérer, aux alentours, un collège Saint-Louis, un petit hôpital Saint-Louis ; mais après sa rentrée en France dans les premières années du second Empire, la chapelle, l'enclos, étaient rapidement tombés dans un état de « délaissement navrant » (2) ; et la statue même devant laquelle s'égrenaient, une fois l'an seulement, les prières liturgiques, se trouvait être, par une singulière erreur, une effigie de Charles V, baptisée du nom de saint Louis. La générale Chanzy souffrait d'une telle abdication de la France chrétienne ; et Lavigerie avait résolu d'y mettre un terme. Lavigerie retrouvait à Tunis, comme consul général de France, un diplomate qu'il avait autrefois connu dans son voyage en Syrie, Roustan : entre eux deux, tout de suite, une collaboration s'ébaucha, dont notre protectorat tunisien devait être le fruit. Cette idée du protectorat s'esquisse, dès 18'15, dans une lettre qu'adressait Lavigerie à notre ministre des Affaires étrangères pour appeler les regards de la France sur Carthage et sur la Byzacène. Et dès cette année, grâce à l'appui de Pie iX, l'archevêque avait obtenu que le vicariat apostolique de Tunisie, confié aux Capucins italiens, autorisât deux Pères Blancs à s'installer sur cette colline : le Siège Romain avait ainsi posé les premières assises de l'installation de la France à Carthage. Lavigerie, tout de suite, avait fait quêter, en France, pour que sur cette historique colline s'élevât un jour une basilique, commémoratrice des souvenirs (3). D'opportunes acquisitions de terres l'avaient, en 1816, rendu maître de tout le plateau de l'ancienne acropole carthaginoise, où il rêvait d'établir un jour (1) Bourgade, Soirées de Carthage, ou dialogues entre un prêtre catholique, un muphti et un cadi, p.3 (Paris, Lecoffre, 1851). (2) Paul Gabent, Un oublié, l'abbé Bourgade (Auch, imprimerie centrale, 1905). (3) Voir au tome 11 des Œuvres choisies, p.357-378, la lettre de Lavigerie aux Pères Blancs, installés sur les ruines de Carthage. |