600 REVUE DES DEUX MONDES. même où seize prêtres de France, au lendemain du débarquement de Bourmont, avaient, sur un autel improvisé, immolé l'hostie, et Bedeau n'avait-il pas rencontré des Kabyles qui, se rappelant leurs ancêtres chrétiens, lui disaient : Nous sommes plus rapprochés des Français que des Arabes ? La France de Louis-Philippe, dix ans durant, avait perdu son temps ; elle avait estimé, avec Bugeaud, qu'il ne fallait pas « s'engager dans la conquête absolue de l'Algérie », et soudainement, un jour, elle avait eu l'impression tragique de voir se dresser devant elle, pour la jeter à la mer, l'Afrique arabe et les descendants de cette vieille Afrique chrétienne : dans ces luttes douloureuses, nos troupes s'étaient couvertes de gloire, et Bugeaud, survenant comme chef dans une Algérie à demi pacifiée, avait avoué que cet élan de la France était peut-être « l'ouvrage du Destin ». Et Lavigerie de rectifier : « Il reconnut donc, ce vieux soldat, dans la voix de la France qui l'appelait à la suivre, l'écho d'une voix plus haute. Il la nommait du nom que mettait sur ses lèvres son ignorance des choses de Dieu. Mais le Destin dont il parle n'est pas la force aveugle du fatalisme, c'est un plus noble Maître, c'est celui qu'il priait, au soir de ses journées. » Lavigerie montrait Bugeaud réalisant, « par de merveilleux succès, ce qu'un instinct supérieur lui révélait comme l'oeuvre de la Providence » ; il rappelait les noms des vainqueurs, les noms des victoires, comme s'il eût proclamé, pour en dire merci, les grâces faites par l'Éternel. Et la fierté de ses accents était instigatrice de fiertés. Mais tout d'un coup, en l'écoutant, on se demandait à quoi tant de grâces avaient servi : cette Algérie, disait-il, compte encore moins d'habitants français qu'elle n'a pris de soldats à la France. Il évoquait les récentes menaces, l'insurrection kabyle, l'insécurité dont elle avait témoigné. « Est-ce donc pour cela, questionnait-il, que nous avons vu la Providence tout conduire comme par la main ?... Non, l'éternelle sagesse qui proportionne toujours les moyens à la fin qu'elle veut obtenir, ne se proposait pas, par de si grands coups, des effets jusqu'à présent si précaires. » Interpellant alors la France chrétienne, il lui disait : « Tu es venue en Algérie, non pas seulement y récolter de plus riches moissons, mais y semer la vérité, y former un peuple libre et chrétien. » Vous voyez les choses en évêque, allait-on lui dire peut-être. Il avait prévu |