586 REVUE DES DEUX MONDES. jour au P.Charmetant. « Ils ont répondu qu'ils voulaient rester », lui rapporta le Père, le lendemain. Et ; l'archevêque de répliquer : « Ah ! pauvres chers insensés, que vont-ils devenir ? » Sa dépression personnelle s'accentuait : plus moyen, pensait-il, de garder les enfants ; il fallait liquider, partager entre ceux qu'on avait baptisés les terres qu'on avait achetées, renvoyer les autres. Et le P.Charmetant répondait : « Non, monseigneur, jamais, jamais ! » L'archevêque alors, le pressant sur son coeur, lui disait : « Restez donc, puisque vous le voulez : c'est votre affaire, ce n'est plus la mienne. Vous aurez la honte de la débâcle. Moi, je n'y suis plus pour rien, je pars. » On était alors au coeur de l'hiver ; il partit. Et ce fut l'honneur de ces premiers Pères Blancs de ne point l'accuser de désertion et de ne point déserter eux-mêmes la tâche que leur avait remise, naguère, son esprit de confiance dans l'avenir, momentanément affaibli. Cette nature était si spontanément en dehors, que les fléchissements s'y laissaient voir sans fard, à l'oeil nu, dans cette même lumière crue qui d'ordinaire en faisait resplendir la grandeur soutenue, rayonnante. On apprit bientôt qu'en France Lavigerie se ressaisissait. Toutes ses pensées se tendaient vers l'Algérie, pour les lendemains de la guerre. Une note qu'il remettait au gouvernement de Tours réclamait des terres pour établir des colons, et des colons pour peupler les terres, des colons qui ne fussent pas tarés, qui ne fussent pas « l'écume de la France ». Candidat, dans les Landes, aux élections d'où sortit l'Assemblée nationale, il eùt souhaité pouvoir dire à la France, comme député, tout ce qu'elle était en droit d'attendre de sa colonie d'Algérie, et tout ce que cette colonie devait attendre d'elle. Le scrutin ne lui fut pas propice. Malgré le geste qu'il avait fait en s'éloignant de son diocèse, ou peut-être à cause de ce geste, le souvenir de ses orphelins l'obsédait : il négociait avec des orphelinats de Marseille, de San Pier d'Arena, qui pourraient éventuellement les accueillir. Et il écrivait à ses Pères Blancs : « Quoi qu'il arrive, mes amis, ne vous laissez pas aller au découragement. » Après six mois d'absence, il rentrait en Algérie ; c'était pour. y trouver la Kabylie en flammes. Quelle cruauté pour lui, après les espérances qu'il avait caressées, de voir se révolter, contre la civilisation française et chrétienne, ceux-là mêmes en |