580 REVUE DES DEUX MONDES. portes que la miséricorde divine avait ouvertes, pour tant de peuples, à la charité et à la vérité catholique » ; il se réjouissait qu'à ces deux seuils de l'Afrique inconnue, soldats de France et prêtres de France fussent installés. En mai 1869, lorsque l'entourage du gouverneur général l'avait vu partir, on avait escompté qu'il ne reviendrait point, et qu'une permutation de siège libérerait l'Algérie de son esprit d'entreprise ; il rentrait là-bas, en septembre, avec un parchemin pontifical qui lui ouvrait un continent. En ce même mois de septembre 1869, la Propagande, envoyant des instructions aux vicaires apostoliques des Indes orientales, leur recommandait de travailler à la conversion des musulmans par la diffusion d'opuscules sur la divinité du christianisme (1). Rome aurait cru pécher contre l'humanité si elle avait paresseusement admis que plus de deux cents millions d'àmes, les âmes de l'Islam, fussent exclues des grâces du Christ. Lavigerie, ainsi soutenu par l'impulsion romaine, retrouvait ses orphelinats très prospères : petits Kabyles, petits Arabes s'y formaient à toute sorte de métiers. L'apprentissage agricole, surtout, préoccupait le prélat. Dans l'histoire de l'apostolat chrétien, nombreuses sont les pages où l'on voit les missionnaires tenir tout d'abord aux populations le langage du Dieu de la Genèse, et leur enseigner, à son exemple, la loi du travail et la culture de la terre. On dirait qu'ils veulent leur présenter les énergies mêmes du sol, ce don de Dieu, avant de leur révéler, par le Décalogue, les exigences de sa loi, avant de leur révéler, par l'Évangile, les condescendances de sa paternité. Lavigerie, s'inspirant de ces exemples séculaires, allait viser au défrichement des terres, avant de songer à celui des âmes. Se rappelant que « le mélange des travaux manuels, des travaux des champs et des travaux apostoliques est la première forme qu'ait eue dans l'Église l'oeuvre de la propagation de la foi », il était décidé à établir, sur plusieurs points de la province d'Alger,. de vastes fermes-écoles où les enfants indigènes dont les parents le désireraient viendraient librement avec les enfants européens « se former au bien, au travail, apprendre nos méthodes, et recevoir une instruction première (i) Collectio Lacensis, VI, col. 666. |