326 REVUE DES DEUX MONDES. IV. - LES PROJETS MISSIONNAIRES DE L'ARCHEVÊQUE CONCORDATAIRE : SURPRISE DE L'ÉTAT Quelques instants de conversation avec le maréchal de Mac-Mahon allaient bientôt convaincre l'évêque que Dieu et la France du Second Empire ne parlaient point la même langue. Dieu disait à l'Église : « Allez, enseignez toutes les nations. » Hormis les musulmans, corrigeait la France officielle. Lavigerie n'admettait pas cette exception. « Je ne comprends pas, maréchal, avait tout d'abord dit l'Empereur à Mac-Mahon, pourquoi vous tenez tant à avoir Mgr Lavigerie.'Vous ne ferez pas bon ménage avec lui. 11 manque de prudence et de mesure. J'ai déjà eu à m'en plaindre comme auditeur de rote. C'est un prélat trop ardent pour un pays musulman, oui les questions religieuses doivent être traitées avec un tact infini (1). » Mac-Mahon regrettait fort, après sa première causerie avec Lavigerie, d'avoir passé outre aux prévisions de son souverain ; et sans déguiser sa volte-face, le maréchal, noblement soucieux d'éviter toutes divergences futures, se hâtait de suggérer à l'Empereur, bien pacifiquement, qu'on pourrait transporter le prélat, tout de suite, sur quelque autre siège, Promo,veatur ut amoveatur ! Le cardinal de Bonald, à Lyon, était fort âgé ; Lavigerie, devenant son coadjuteur, aurait peu de temps à attendre pour être primat des Gaules. Napoléon III fit venir Lavigerie, lui offrit le siège de Lyon. « Ce serait une honte, répondit le prélat ; il dépendait de Votre Majesté de me nommer ou de ne pas me nommer au siège d'Alger ; mais, puisque j'y suis nommé, je veux et je dois y aller. » « Il est bien probable, écrivait-il à Mgr Maret, qu'il ferait plus doux vivre à Lyon, mais il fera certainement moins dur mourir à Alger, même et surtout s'il y a, comme on me l'assure, beaucoup à souffrir. » Cette lettre à Mgr Maret circula parmi ses amis : beaucoup ne la comprirent pas. Préférer à la prochaine primatie des Gaules, garante d'une pourpre rapide, un évêché d'outre-mer, c'était, à les entendre, faire trop peu de cas, vraiment, des (1) Du Barail, Souvenirs, III, p.475 (Paris, Plon). Sur le conflit entre l'archevêque et le maréchal,on trouvera, dans l'Univers du 28 octobre t896,un article très documenté de M. Geoffroy de Grandmaison. |