320 REVUE DES DEUX MONDES. Mais d'autres sourates, en conseillant la guerre contre l'infidèle, le Djehad, multipliaient les cadavres, et les orphelins, et les mendiants. Ces fillettes ramassées à Beyrouth par nos Soeurs de Charité et que Lavigerie adoptait (1) n'étaient-elles pas les douloureuses victimes de l'implacable Djehad ? « L'Islam, a dit le voyageur Palsgrave, est le « panthéisme de la force ». Interpellant cette doctrine, Lavigerie lui demandait compte du contraste entre deux chiffres : pourquoi la région entre Gaza et Alep comptait-elle, autrefois, dix-huit millions de chrétiens, et aujourd'hui 500 000 (2) ? Il dénonçait l'Islam comme force de destruction, force inhumaine, force meurtrière. Il allait se refaire quêteur : ayant recueilli les gémissements des chrétiens, il allait les répercuter, dussent-ils résonner, comme un importun cri d'alarme, aux oreilles de cette France qui voisinait ailleurs avec l'Islamisme. Il avait regardé, aussi, ces tronçons d'Églises, unies à Rome, qui là-bas subsistaient : il n'y avait aperçu que des missionnaires latins, et quelques prêtres venus de l'hérésie à l'Église romaine, et bien ignorants encore ; il songeait qu'il serait nécessaire de créer, pour le clergé oriental, des séminaires où des clercs seraient élevés, suivant les usages et les rites du terroir, pour exercer un jour la fonction sacerdotale ; et les deux messages qu'adressaient à Pie IX et au clergé de France les évêques orientaux attestaient la confiance que dès lors ils avaient mise en Lavigerie, « ambassadeur de la charité française (3) ». Regagnant l'Europe, il porta tout de suite en deux endroits la confidence de ses rêves, à Pie IX d'abord, puis aux ministres de l'Empereur. Le relèvement des Églises orientales préoccupait alors le Pape : Lavigerie lui en dessinait les méthodes. Les Tuileries, par crainte de l'Angleterre, avaient fermé les yeux sur la complicité des Turcs et des Druses, et réduit notre armée de Syrie à un rôle d'observatrice : Lavigerie venait annoncer que ces catholiques orientaux échappés aux massacres, que ces Syriens qui s'appelaient eux-mêmes des « Frangis », souhaitaient de notre part un actif protectorat. « Il y a en France, insistait-il, une opinion qui réclame pour eux : ce sont là des manifestations dont l'Angleterre ne saurait contester la valeur, (1) Lavigerie, iEuvres choisies, II, p.255. — (2) Ibid., p.238-244. — (3) Ibid., p.229, |