304 REVUE DES DEUX MONDES., reconstituer son unité. Les trois tronçons qui viennent d'être ressoudés après tant d'années de séparation ont subi, durant leur captivité, des influences fort diverses. La manière de vivre de leurs habitants, leurs idées économiques et sociales, et jusqu'à leurs sentiments, se sont largement modifiés ; une seule de leurs aspirations s'est maintenue intacte, celle de la reconstitution de leur intégrité. Le traité de paix, en libérant la Pologne, ne pouvait du même coup supprimer tant de liens extérieurs, tant de causes de dissensions intimes. Comment s'en s'étonner alors qu'en Alsace-Lorraine, après un demi-siècle à peine de séparation, nous avons dû tenir le plus grand compte du sentiment local et ménager les transitions ? Depuis cinq ans, malgré d'immenses difficultés, la Pologne a fait de rapides progrès. Elle a réorganisé son armée et lui a donné une âme ; nous en avons journellement la preuve en causant avec ceux de ses officiers qui suivent les cours de notre École de guerre. Son organisme économique se fond progressivement en un tout harmonieux et, même dans les provinces silésiennes, des ententes heureuses se concluent qui assureront à l'avenir la vie de ses territoires morcelés. Elle creuse en eau polonaise le port de Gdinia, qui lui ouvre une fenêtre sur la ruer libre. Elle a enfin restauré sa monnaie et équilibré son budget. On peut, semble-t-il, faire confiance à un peuple qui s'est mis aussi courageusement à la besogne et dont les luttes politiques présentes ne sont certes pas plus violentes que celles qui se déroulent journellement sur les bords de la Sprée, de la Tamise ou de la Seine. La première raison que donne parfois la presse britannique de son attitude à l'égard de la Pologne n'est donc pas sérieuse. Avec le temps, les Anglais, toujours réalistes, abjureraient certainement leur erreur, si la plupart d'entre eux n'étaient animés d'un autre sentiment beaucoup plus difficile à vaincre, parce que plus abstrait et partant moins facile à saisir. Bien qu'aucun document officiel n'en porte trace, certains de nos voisins d'outre-Manche prétendent aujourd'hui n'avoir signé qu'à contre-coeur les clauses du traité de paix concernant la création du « Couloir de Dantzig » ; ils les déclarent sujettes à revision, de même d'ailleurs que l'arrêt de la Société des |