286 REVUE DES DEUX MONDES. du moins chez nous, ne se faisant pas prier pour fumer un cigare ou même tirer leur pipe. On s'asseyait sous la tonnelle du jardin, où mon père les abreuvait de sa bonne bière de mars. Souvent aussi il débouchait en leur honneur quelqu'une de ces précieuses bouteilles qui reposaient, à la cave, sur un lit de sable fin. On riait aux éclats, on se contait pour la centième fois les histoires du collège. Ces messieurs les curés n'avaient pas l'air méchant du tout. Néanmoins, est-ce ma faute ? est-ce la leur ? je n'arrivais pas à me familiariser avec eux, et, s'il faut tout dire, ils m'inspiraient plutôt une sainte terreur. C'est qu'ils n'étaient plus les mêmes en public et dans leurs rapports avec leurs ouailles. Je me rappelle surtout l'un d'eux, fort redouté dans le pays. On ne prononçait son nom qu'avec une sorte d'effroi. Quand on disait devant moi : « Monsieur le curé d'Houdelaucourt », je voyais tout de suite un gaillard athlétique et apoplectique, qui brandissait un parapluie à la façon d'une trique ou d'un gourdin. J'avais entendu répéter qu'il se signalait : par la violence de ses prônes et qu'il expulsait inexorablement de son église les filles qui allaient à la danse, le dimanche... Même ceux qui avaient un aspect moins terrible affectaient, eux aussi, les principes les plus sévères. Grâce à eux, on ne badinait point, chez nous, avec la morale. Ces curés meusiens étaient de véritables gendarmes des moeurs. Aussi nos villages offraient-ils, en ce temps-là, de parfaits modèles de tenue et de conduite, et pouvaient-ils être cités en exemple à tout le reste de la France. Évidemment ces bénéfices moraux me touchaient peu. Je n'étais sensible qu'il l'austérité un peu distante du prêtre. Depuis qu'on m'obligeait de me confesser et d'apprendre le catéchisme, mon église de Spincourt m'apparaissait comme désenchantée. Je ne parlais plus d'aller en Paradis. Les offices eux-mêmes, qui m'émouvaient si fort autrefois, s'assombrissaient pour moi à la pensée qu'ils allaient se terminer par une séance de catéchisme ou de confessionnal. Pendant les vêpres, il m'arrivait de lire un petit livre, tombé, je ne sais comment, entre mes mains. Ce petit livre, qui s'appelait le Pensez-y-bien, m'est resté comme un des plus affreux souvenirs de mon enfance. Ce n'était point précisément parce qu'il n'y était question que de |