280 REVUE DES DEUX MONDES., oiseaux voyageurs ?'Tous ses talents et tous ses pouvoirs occultes se couronnaient, pour moi, de ce prestige d'être la fée des fleurs et des petits oiseaux. Mais, dans son coeur à elle, c'étaient les fleurs qui l'emportaient. Aux jours de grande fête, les fleurs de la mère Josset décoraient les autels de l'église et, habituellement, le vieil autel vermoulu du charnier. Je n'ai jamais pu m'expliquer ce culte bizarre et plein de ferveur pour le vieux charnier abandonné de notre cimetière. Le haut de l'autel était occupé par des bouquets artificiels, qui achevaient de pourrir et se décomposer dans des vases en porcelaine. Mais, par les soins assidus de la mère Josset, tout le devant était garni de fleurs fraîches, apportées, à pleines brassées, de son jardin. Elle les disposait dans des pots de grès, les beaux pots bleus de Sarreguemines, où nos fermières mettent leurs laitages, conservent leur beurre et leurs confitures : c'est ce qu'elles appellent des possons. Avec Jean Louis, nous faisions de fréquentes visites au charnier, à seule fin de contempler les possons fleuris de la mère Josset. Devant les panses rebondies, il nous venait des envies gourmandes, nous rêvions de jattes de crème et de lait caillé. Mais il fallait bien nous contenter de tirer du pot une rose ou une tige de pavot, et n-us rentrions au logis, en dissimulant notre larcin, tout tlrnblants d'émotion et le coeur contrit à l'idée du vol et du sacrilège... Nous finîmes par renoncer à ces périlleuses expéditions, tellement la mère Josset sut nous épouvanter, en nous menaçant des représailles de toute une armée de diablotins embusqués par ses ordres derrière les possons. Elle excellait à conter des diableries, à inventer les histoires les plus effrayantes ou les plus extravagantes : cette bonne femme de Spincourt avait le sens du fantastique à un degré extraordinaire. De toutes ses inventions, la seule qui soit restée dans mon souvenir, entourée d'un nimbe de poésie toute spéciale, c'est celle de la « Chapelle blanche ». Elle seule pouvait me décider à me mettre au lit, en me promettant qu'une fois endormi, je verrais la Chapelle blanche... Y ai-je rêvé, à cette Chapelle blanche de la mère Josset 1 J'étais tellement sûr de son existence, je la désirais tellement que, pendant des années, les plus cruelles déceptions n'ont pu émousser ma foi en elle. Et cette foi m'a aidé à vivre pendant ces tristes |