2l8 REVUE DES DEUX MONDES. permanence pendu à la crémaillère. Ce coquemar, plein d'un gros. café noir, abreuvait du matin au soir la mère Josset et ses voisines, qui passaient des heures à bavarder avec elle, à dévider d'interminables dâdées, tout en sirotant leur bol de chicorée. A quatre heures, pour marender, la maîtresse du logis prenait un grand bol de café au lait, accompagné d'une tartine de beurre. J'arrivais souvent à cette heure-là. Elle me disait de son ton papelard : AlIons, mon fi 1 Venez vous couailler auprès de moi 1... J'allais, en effet, me couailler auprès d'elle, c'est-à-dire que Je me serrais affectueusement contre ses jupes, et, en récompense de ma gentillesse, je recevais un gros morceau de tarte aux quetsches, qu'elle appelait du gâteau de prunes, ou bien, en hiver, une rôbotte : ainsi nommait-on un chausson de pomme, une reinette enveloppée dans de la pâte de pain et cuite au four. Les rôbottes n'étaient pour moi qu'un pis-aller. Je mettais au-dessus dé tout les « gâteaux de prunes » de la mère Josset, et, tout en décollant de la pâte épaisse les quetsches juteuses et amères, je contemplais avec ravissement le fond du paysage, à savoir la plaque de fonte qui brillait dans, l'âtre, sous le manteau de la cheminée, une taque aux armes de France, qui provenait sans doute de quelque château pillé au temps de la Révolution. Elle était bien curieuse, cette taque de la mère Josset 1 Depuis, je l'ai revue à loisir. Elle représentait une scène gastronomique : un cuisinier portant un chapon rôti et, au milieu, de joyeux drilles attablés, pressant amoureusement des cruches de vin. Au-dessus, on lisait cette inscription pleine de sagesse bourgeoise : A gens affames ne leur vault écrevisse rôtie, bouilli est plus propice... Et, au-dessous, s'étalaient ces vers macaroniques : Nous serons en santé, Tant que nous aurons les pyeds chauffés. Enfin, en plus petits caractères, la date de ce chef-d'oeuvre : En l'année 1599, le 15 octobre, cette tacque fut faycte. Le pays était plein de taques semblables, probablement coulées dans les fonderies d'Orval, en Belgique. C'était toute la poésie de nos foyers campagnards : elle s'en est allée avec le reste. |