450 REVUE DES DEUX MONDES. cour où poussaient de hautes herbes et des chardons. A cent pas de la porte était une petite maison avec un toit rouge et des volets verts. Une forte femme, tablier relevé, les manches retroussées, se tenait au milieu de la cour, répandant quelque chose à terre, et criait d'une voix aiguë : - Petits, petits, petits ! Derrière elle, était assis un chien roux, aux oreilles pointues. En voyant les visiteurs, il courut à la porte et se mit à aboyer d'une voix de fausset (tous les chiens roux aboient d'une voix de fausset). - Qui cherchez-vous ? cria la femme en se faisant de la main un auvent contre le soleil. - Bonjour ! cria Ivane Ivânytch, chassant le chien jaune avec sa canne. Dites-moi, s'il vous plaît, si c'est ici que demeure Nastâsia Pétrôvna Taskounov ? — C'est bien ici ; que voulez-vous à Nastâsia Pétrôvna ? Ivane Ivànytch et Iégôrouchka s'approchèrent. Soupçonneuse, la femme les examinait avec soin et elle répétait : - Que lui voulez-vous ? - Vous êtes peut-être Nastâsia Pétrôvna elle-même ? - Eh oui, c'est moi ! - Très agréable... Alors voici : votre ancienne amie Olga Ivànovna Kniâzév vous salue. Voici son fils... Et moi, si vous vous rappelez, je suis son frère, Ivane Ivânytch... Vous êtes de chez nous, de N... Vous y êtes née et vous y êtes mariée... Un silence se fit. La grosse femme fixa stupidement lvane Ivânytch, comme si elle ne le croyait pas, ou ne le comprenait pas ; puis elle rougit toute et se frappa les mains. De son tablier s'épandit l'avoine qu'elle donnait à la volaille. De ses yeux jaillirent des larmes. - Olga Ivànovna ! s'écria-t-elle en respirant péniblement, étreinte par l'émotion. Ma chère amie !.. Ah ! tous les saints, qu'aije à rester plantée comme une bête ?... Mon joli petit ange... Elle embrassa Iégôrouchka, et pleura tout à fait, le mouillant de ses larmes. - Mon Dieu, dit-elle. Le fils d'Olétchka (1). En voilà une joie ! C'est tout à fait sa mère ! sa propre mère ! Mais pourquoi restez-vous dans la cour ? Entrez, entrez ! (1) Diminutif d'Olga. |