440 REVUE DES DEUX MONDES. Puis, du tiroir de la table, elle tira un long couteau effilé, très semblable aux couteaux avec lesquels les brigands tuent les marchands aux relais : Mange, petit père I Iégôrouchka, tremblant comme s'il avait ia fièvre, mangea un morceau de melon avec du pain noir, puis un morceau de pastèque. Mais il avait de plus en plus froid. Couche-toi, petit père, couche-toi, grommela la vieille. Seigneur Jésus-Christ ! Je dormais et j'entendais comme si on frappait. Je me réveille et je vois que Dieu a envoyé de l'orage... 11 faudrait allumer un cierge, mais je n'en ai pas... Se parlant à elle-même, elle enleva du banc quelques guenilles, probablement sa literie, prit deux paletots de peau de mouton, pendus à des clous, et commença à faire le lit d'Iégôrouchka. — L'orage ne cesse toujours pas... marmonnait-elle. Pourvu, Dieu nous en préserve ! qu'il ne mette le feu nulle part... Couche-toi, petit père, dors... Dieu te garde, petit-fils !... Les soupirs et les bâillements de la vieille, la respiration rythmée de la femme qui dormait, la pénombre de l'isba, le bruit de la pluie, derrière la fenêtre, disposaient au sommeil. Iégôrouchka eut honte de se déshabiller devant la vieille. Il quitta seulement ses bottes, se coucha et se couvrit avec un des paletots de peau de mouton. - Le gamin est-il couché ? vint demander Pantéley. - Il est couché, répondit la vieille à voix basse. Passion du Seigneur ! il tonne, il tonne : on n'en voit pas la fin 1... Pantéley et la vieille assis côte à côte aux pieds d'Iégôrouchka devisaient en chuchotant, et coupant leurs discours de soupirs et de bâillements. Cependant, Iégôrouchka ne parvenait pas à se réchauffer. Quoique le paletot de peau de mouton étendu sur lui fût aussi chaud que lourd, il tremblait de tous ses membres, des crispations lui couraient dans les mains et les pieds ; tout tremblait au dedans de lui. Il se déshabilla sous la touloupe, mais il ne fut pas plus à l'aise. La fièvre montait. Pantéley partit pour relever ses camarades, puis il revint ; Iégôrouchka ne dormait toujours pas. Quelque chose lui serrait la tête, lui pesait sur la poitrine, il ne savait pas ce que c'était, le murmure des vieux ou l'odeur lourde de la toison. La pastèque et le melon lui avaient laissé dans la bouche un |