438 REVUE DES DEUX MONDES. Iégôrouchka se retourna vivement en avant, et agité d'un tremblement convulsif, cria : - Pantéley ! grand-père ! « Trak ! tak ! tak ! » lui répondit le ciel. Il voulut voir si les rouliers étaient là. Un éclair brilla en deux endroits et éclaira au loin la route avec le convoi et les conducteurs. Pantéley marchait près du chariot. Son chapeau haut et ses épaules étaient couverts d'une petite natte de tille. Sa figure n'exprimait ni peur, ni émoi, comme s'il eût été aveuglé par les éclairs et assourdi par le tonnerre. - Grand père, lui cria Iégôrouchka en pleurant, des géants ! Mais l'aïeul n'entendit pas. Plus loin, marchait Eméliane. Couvert d'une grande natte, de la tête aux pieds, il avait maintenant la forme d'un triangle. Vâssia, sans rien qui le protégeât, marchait, aussi raide que jamais, levant haut les pieds, sans plier les genoux... A la lueur des éclairs, il semblait que le convoi ne bougeât pas, que les conducteurs fussent pétrifiés, que le pied levé de Vâssia fût paralysé... Encore une fois, Iégôrouchka appela l'aïeul. N'obtenant toujours pas de réponse, il s'assit, sans plus bouger, sans plus rien attendre. Il était convaincu que le tonnerre allait le tuer à la minute, que ses yeux allaient s'ouvrir à l'improviste et qu'il allait voir les effroyables géants. Il ne se signait plus, ne savait pas où était le grand père, ne pensait pas à sa mère, tombait dans un complet engourdissement... Tout à coup la conscience lui revint : des voix retentissaient à son oreille. - Iégôri, ma parole, es-tu devenu sourd ? criait d'en bas Pantéley. Descends ! En voilà un orage 1 dit quelqu'un d'une voix de basse, inconnue, et reniflant comme s'il venait de boire un bon verre d'eau-de-vie. Iégôrouchka s'éveilla tout à fait. Près du chariot se tenaient Pantéley, Eméliane-le-triangle, et les géants. Ces derniers étaient maintenant bien diminués de taille : Iégôrouchka fut tout étonné de constater que c'étaient de simples moujiks, ayant sur l'épaule, non pas des piques, mais des fourches de fer. Puis il distingua la fenêtre éclairée d'une isba au toit bas. Le convoi était donc arrêté dans un village. |