436 REVUE DES DEUX MONDES. ce devait être épouvantable pour elles. Mais à travers la poussière qui collait les yeux, on ne voyait que la lueur des éclairs. Iégôrouchka, pensant que la pluie était près de tomber, se mit à genoux et se couvrit de la natte. - Pantéley ! cria quelqu'un en avant... A... a... a... - On n'entend rien, répondit Pantéley d'une voix forte et d'un ton chantant. Le tonnerre gronda furieusement, roula à droite, à gauche dans le ciel, puis en arrière et expira près des chariots de tète. - Saint, saint, saint ! Seigneur des armées ! murmura Iégôrouchka se signant, ta gloire emplit le ciel et la terre ! De nouveau le tonnerre gronda. Puis, un éclair brilla, illuminant si largement le ciel qu'Iégôrouchka, à travers les interstices de la natte, découvrit tout d'un coup toute la route à perte de vue, tous les rouliers, et même le gilet de Kirioûkha. Les haillons noirs montaient à gauche, et l'un d'eux, grossier, difforme, ressemblant à une patte avec des doigts, s'allongeait vers la lune. légôrouchka décida de fermer les yeux, de ne plus faire attention, d'attendre que tout fût fini. La pluie, on ne sait comment, ne tomba pas de longtemps. Iégôrouchka, dans l'espoir que le nuage passerait peut-être, jeta de dessous la natte un regard. Il faisait effroyablement sombre. Il ne vit ni Pantéley, ni les ballots, ni lui-même ; il guigna du côté où était la lune, il n'y avait qu'un instant ; mais il y régnait la même obscurité que sur le chariot. Les éclairs, dans tout ce noir, paraissaient plus longs et plus aveuglants, et faisaient mal aux yeux. - Pantéley ! appela Iégôrouchka. Il n'y eut pas de réponse ; mais le vent, une dernière fois, fit effort sur la natte et s'enfuit quelque part. Alors, on entendit un bruit régulier et tranquille. Une large goutte froide tomba sur les genoux d'Iégôrouchka. Une autre coula sur sa main. S'apercevant que ses genoux n'étaient pas couverts, il voulut arranger la natte ; mais, à ce moment, quelque chose éclata, tombant, battant la route, puis les brancards et les ballots : c'était la pluie. La natte et la pluie se comprirent l'une l'autre et se mirent à jaser comme deux pies. Iégôrouchka se tenait à genoux, ou plutôt était assis sur ses talons. Quand la pluie battit la natte, il se pencha en avant pour cacher sas genoux, qui fuuut instantanément mouillés, |