434 REVUE DES DEUX MONDES. sont maintenant son oncle, le P.Christophore et Dénisska ? Pourquoi restent-ils si longtemps ? Ne l'ont-ils pas oublié ? A l'idée qu'on l'avait oublié et abandonné au gré du sort, il avait froid et ressentait une telle peur qu'il essaya plusieurs fois de sauter du ballot, de courir en arrière sur la route à toutes jambes ; mais le souvenir des pauvres croix sombres qu'il rencontrerait infailliblement, et les éclairs brillant au loin, le retinrent. Ce n'était qu'en chuchotant : « Maman, maman ! » qu'il se sentait mieux. Les rouliers probablemen t ne se sentaient pas à l'aise, eux non plus. Après qu'Iégôrouchka se fut enfui d'auprès du brasier, ils se turent d'abord, puis ils s'entretinrent à mi-voix de quelque chose qui approchait et qu'il fallait éviter en s'apprêtant à partir au plus vite... Ils soupèrent à la hâte, éteignirent le feu et commencèrent à atteler en silence. A leur précipitation et à leurs phrases entrecoupées, il était manifeste qu'ils pressentaient quelque danger... Avant de se mettre en route, Dymov s'approcha de Pantéley et lui demanda : - Comment s'appelle-t-il ? - Iégôri, répondit Pantéley. Dymov mit un pied sur la roue, s'accrocha à la corde avec laquelle, était attaché le ballot, et se hissa jusqu'à lui. Iégôrouchka vit sa figure et. sa tête frisée ; sa figure était pâle, et fatiguée, mais n'exprimait plus la colère. Ièra 1 (1) dit-il à voix basse. Allons, bats-moi ! Iégôrouchka le regarda avec surprise : à ce moment, un éclair brilla. Bats-moi, donc ! répéta Dymov. Puis sans attendre qu'légôrouchka l'eût battu ou lui eût parlé, il sauta à terre et dit : Je m'ennuie... Puis, se balançant d'un pied sur l'autre, remuant les épaules, il marcha paresseusement le long du convoi et répéta d'une voix plaintive : - Je m'ennuie, Seigneur 1 Toi, Eméliane, ne te fàche pas, dit-il en passant devant l'ancien chantre. Notre vie est perdue, atroce 1 (i) Diminutif de Iégôri. |