430 REVUE DES DEUX MONDES. l'un de l'autre ? Tout cela peut-être à la fois. La vie est terrible et mystérieuse, et aussi terrible que soit le récit que l'on fasse en Russie, il paraîtra toujours véridique aux auditeurs de la steppe... La croix sur la route, les silhouettes trapues des ballots, le hasard qui groupait ces gens autour du brasier, tout était par soi-même, si merveilleux et si effrayant, que le fantastique de ce qui n'avait pas été ou de ce qui était un conte, pâlissait et se confondait avec la vie. Quand Iégôrouchka se réveilla le lendemain, il était de très bonne heure. Le soleil n'était pas encore levé ; le convoi était arrêté. Un homme en casquette blanche et en costume d'étoffe grise bon marché, monté sur un cheval cosaque, causait avec Dymov et Kirioùkha, auprès du premier chariot. En avant, à environ deux verstes, on apercevait de longs hangars peu élevés, blanchis à la chaux, et des maisons à toits de tuiles. On ne voyait près des maisons, ni arbres, ni cours. - Grand-père, demanda Iégôrouchka, quel est ce village ? - Ce sont les fermes des Arméniens, petit, répondit Pantéley. Là habitent les Arméniens. Des gens pas mal, ces Arméniens. L'homme vêtu de gris finit de parler avec Dymov et Kirioùkha, fit reculer son étalon et regarda du côté des fermes. Quelle affaire, pense un peu ! soupira Pantéley, frissonnant dans la fraîcheur matinale. Il a envoyé un homme aux fermes, chercher un papier, et l'autre ne revient pas... Si on y envoyait Stiôpka ? Grand-père, qui est celui-là ? demanda Iégôrouchka. - Varlàmov. Mon Dieu 1... Iégôrouchka se leva vivement, se mit à genoux et regarda la casquette blanche... Dans l'homme gris, petit de taille, chaussé de hautes bottes monté sur un vilain cheval et causant avec des moujiks à l'heure où tous les gens convenables dormaient, comment reconnaître le mystérieux, l'introuvable Varlàmov, que tous cherchaient, qui « tournait », toujours, et qui avait bien plus d'argent que la comtesse Dranitski ? — Il n'y a pas à dire, c'est un brave homme... disait Pantéley en regardant les fermes... Dieu lui donne santé 1 Varlàmov Sémione Alexànndrovitch est un bon maître. C'est sur des |