Fi0 REVUE DES DEUX MONDES. riait un prétexte. Ces vieux logis de Spincourt, je les ai regardés si passionnément, avec un tel désir d'y découvrir des choses merveilleuses, ou simplement amies de ma fantaisie, que je les ai perçus dans leurs moindres détails, que je les ai sus réellement par coeur. Successivement, j'ai épuisé tout le charme de chacun d'eux, j'en ai extrait tout ce qu'ils pouvaient me donner de plaisir, comme j'usais jusqu'à la corde le plaisir que me donnaient mes jouets. Sans doute, c'étaient, chez moi, les premiers symptômes de cette tendance à la délectation morose, qui, plus tard, devait être le tourment et la consolation de nia vie... Ah ! il fallait bien tout tirer de nous-mêmes ! Nous étions d'un pays peu donnant. La nature qui nous environnait, était chiche et même avaricieuse comme les gens. Aussi, à la moindre avance qu'elle nous faisait, au plus pâle sourire effleurant son visage sévère, nous courions au-devant d'elle, le coeur en fête. Cela ne lui arrivait guère de se dérider tout à fait qu'au plus fort de la canicule. Ce bref épanouissement, nous le guettions dès les premiers rayons du soleil printanier. Je parle surtout pour moi, car mon ami Jean Louis, paysan dans l'âme, était trop près de la terre et trop occupé ailleurs, pour perdre son temps à la regarder : lui, son domaine, c'était le monde fantastique des éblouissements et des épouvantes. Au fond, il avait le génie apocalyptique. Ce voyant se moquait bien des fleurs. Moi, je me fondais en extase devant la première violette, celle qu'on devine d'abord à son parfum et qu'il faut chercher sous les petites feuilles vertes encore toutes grelottantes de l'hiver. Aussitôt après, c'étaient les coucous dans les prés, les jaunes coucous, dont nous faisions des pelotes, qu'on se renvoyait d'une maison à l'autre, puis toutes les fleurs des processions et des reposoirs : les lilas du mois de Marie, les pivoines, les phlox et les glaïeuls de la Fête-Dieu, les roses et les tournesols de l'Assomption, ces grands tournesols qui, dans tout l'éclat de la méridienne, dominaient l'humble flore de nos jardins, comme des ostensoirs en exaltation... Puis la pompe rustique des travaux et des jours, les chars de la fenaison et de la moisson, qui rentraient dans les granges, au milieu d'un nuage de poussière blonde et en exhalant derrière eux des bouffées de parfums à la fois brùlants et frais. Pour moi, j'y voyais surtout le triomphe du bluet et du coquelicot, |