428 REVUE DES DEUX MONDES. ensevelissaient pour qu'il n'en restât pas traces... Ils périrent de la main du bourreau à Morchtchannsk. Pantéley, ayant achevé son récit, regarda ses auditeurs. Ceux-ci se taisaient. L'eau commençait à bouillir et Stiôpka enlevait l'écume. — Le lard est-il prêt ? lui demanda Kirioûkha à mi-voix. - Attends un peu... Stiôpka, sans quitter Pantéley des yeux, et comme s'il craignait qu'il ne commençât à raconter quelque chose sans lui, courut aux chariots. 11 revint vite avec une écuelle de bois et commença à écraser le lard. Pantéley reprit : Une autre fois je voyageais avec un marchand. Il s'appelâit Piôtre Grigôriévitch. Nous nous arrêtâmes de la même façon dans un relais... lui dans une petite chambre, moi près des chevaux. Les patrons, le mari et la femme, avaient l'air de braves gens ; leurs journaliers aussi. Pourtant, frères, je ne pus pas dormir ; j'avais un pressentiment, oh 1 rien qu'un pressentiment... La porte cochère était ouverte, il y avait beaucoup de monde alentour ; tout de même, je ne me sentais pas à l'aise... La nuit était déjà avancée. Couché seul sous la bâche de mon chariot, je n'avais pas fermé Soudain, j'entends top-top-top. Quelqu'un se faufile près de la bâche. Je lève la tête et j'aperçois une femme en chemise, nu-pieds... - Lève-toi, me dit-elle, à voix basse. Malheur ! Les patrons pensent à mal. Ils veulent en finir avec ton marchand..% « Mon pressentiment ne m'avait pas trompé. - Qui es-tu ? demandai-je. - Je suis, dit-elle, leur cuisinière. « Bien... Je sortis de dessous la bâche et allai trouver mon marchand. Je l'éveillai et lui dis : « Piôtre Grigôriévitch, l'affaire n'est pas claire. Tu auras le temps de dormir ton saoul ; maintenant tandis qu'on le peut, habille-toi, et, pour éviter les désagréments, sauvons-nous vite loin du péché... » Il ne faisait que commencer à s'habiller, quand la porte s'ouvre, et bonjour... Je regarde, Mère-reine 1 dans notre chambre entrent le patron, la patronne et trois journaliers... Ils avaient aussi embauché leurs journaliers... Le marchand, pensaient-ils, a beaucoup d'argent ; nous partagerons... Tous les cinq ont à la main un long couteau... un coutelas... Le patron ferme la porte à clé et dit : « Priez Dieu, voyageurs... si vous criez, |