422 REVUE DES DEUX MONDES. me causait pour mon avenir et celui de ma jeune famille de sérieuses préoccupations. Quelle ne fut donc pas ma surprise quand il me dit un jour : « J'ai écrit à mon banquier de Paris de vendre des rentes qu'il a à moi. Il m'enverra le capital : j'aurai de quoi vivre là-dessus avec ma femme jusqu'à la fin de notre vie, qui tie peut pas être bien longue. Mes enfants se tireront d'allure comme j'ai fait moi-même. » Et il le fit comme il le dit. Ce n'était guère raisonnable, la rente française 3 pour 100 étant, je crois, au-dessous de 40 depuis la catastrophe. Mais cette facilité à se résigner à la ruine me confondit. Dirai-je cependant que nous étions en complète sympathie ? Non, en vérité, car, malgré la convenance de son langage en parlant des malheurs qui menaçaient la France, je voyais assez clairement qu'il n'était pas absolument décidé à s'ensevelir avec elle. L'Italien reparaissait par intervalles, et l'idée de prendre sa part dans la renaissance de sa patrie et d'y retrouver une place pour son activité et son ambition traversait évidemment son esprit. J'allais le voir tous les matins, après l'arrivée de la poste. Nous lisions ensemble les journaux, et tâchions de comprendre, ce n'était pas toujours aisé, ce qui se passait à Paris. Nous nous perdions ensuite en calculs et en suppositions sur ce qui pourrait sortir de cette confusion. Mais je voyais bien que le but de cet examen était au fond de résoudre cette question : « Resterai-je Français ? Redeviendrai-je Italien ? » Il gardait évidemment au fond de son esprit les deux solutions en suspens et comme les deux portes ouvertes, attendant pour se décider l'indication des événements. Il prenait même des précautions dans les deux sens : il autorisait son second fils à s'engager dans l'armée italienne, mais il avait soin d'en demander pour lui l'autorisation au Gouvernement provisoire de Paris. Rien de plus naturel ; il avait loyalement servi la France, mais il ne lui appartenait pas par le fond de l'àme et, si on ose ainsi parler, par les entrailles. C'est l'Italie qui faisait battre son coeur. On ne change pas et on ne se donne pas à volonté les premières et instinctives impressions de l'enfance. Je dois ajouter, pour lui rendre même complète justice, que le désir que je voyais briller dans ses yeux de reprendre sa place dans sa patrie première, n'allait jamais jusqu'à lui faire partager ni même excuser ce qui se mêlait d'idées et de sentiments révolutionnaires dans le mouvement qui entraînait |