2'4 REVUE DES DEUX MONDES. Spincourt. Mais lui et son église nous inspiraient un sentiment voisin du sublime : je le dis sans ironie. Nous sentions confusément que c'était vraiment le haut-lieu du pays, un lieu élevé qui planait, immaculé et splendide, au-dessus des étables et des fumiers du village. Nous respirions là un air plus pur, plus exaltant que partout ailleurs. Et pourtant, cette pauvre église campagnarde n'était guère plus ornée que nos maisons, nos écuries et nos granges. C'était une grande maison de paysan, voilà tout, avec une tour carrée par devant. Mais cette tour était coiffée d'une sorte de casque en ardoises, que surmontait une lanterne mêmement ardoisée. Ce casque est assez fréquent dans la région nzontniédienne, comme dans le pays wallon : chez nous, c'est probablement un souvenir de la domination espagnole, qui a laissé, dans tout ce nord de la Meuse, les plus beaux vestiges architecturaux. Assurément la coiffure de notre clocher de Spincourt n'était ni belle ni architecturale, mais nous l'aimions, ce clocher, comme le visage même de la terre natale, comme les traits chéris et vénérés d'une grand mère ou d'un aïeul, sous sa casquette à oreillère ou son bonnet à coques et à rubans. Après cela, il fallait tirer l'échelle : tout le reste, à nos yeux, Mail bien au-dessous de notre église. Néanmoins, nous trouvions encore dans notre village une foule de beautés qui ne laissaient Point de nous émouvoir aussi. D'abord la propre maison des parents de mon petit ami, Jean Louis, un grand logis rustique, presque tout en greniers et en écuries, et dont les fenêtres de derrière s'ouvraient sur le cimetière. Il était flanqué d'un jardin plein des plus beaux groseilliers que j'aie jamais vus : au mois de juin, c'était un régal et un émerveillement. A côté, sur une espèce de place, aménagée devant l'église, la maison qu'habitaient mes parents. Elle faisait partie d'un vaste corps de logis, qui avait, dû être, autrefois, une demeure seigneuriale. De mon temps, on parlait encore, à Spincourt, d'une comtesse des Armoises, qui, sans doute, occupait ce logis avant la Révolution. Plus tard, on l'avait morcelé. On y avait intallé une auberge, à l'enseigne du Lion d'or, avec ta poste aux chevaux, et le reste des bâtiments était devenu une habitation bourgeoise. C'est là sans doute, dans une des chambres de notre maison, que Goethe passa la nuit, lorsque, après la bataille de Valmy, entraîné dans la déroute des armées |