364 REVUE DES DEUX MONDES. Napoléon disait à Sainte-Hélène : « J'étais seul, un jour, je me vois encore à demi assis sur une table ou j'avais dîné, achevant de prendre mon café ; on accourt m'apprendre une trame nouvelle ; on me démontre avec chaleur qu'il est temps de mettre un terme à de si horribles attentats ; qu'il est temps, enfin, de donner une leçon à ceux qui se sont fait une habitude journalière de conspirer contre ma vie ; qu'on n'en finira qu'en se lavant dans le sang de l'un d'entre eux ; que le Duc d'Enghien devait être cette victime, puisqu'il pouvait être pris sur le fait, faisant partie de la conspiration actuelle ; qu'il avait paru à Strasbourg ; qu'on croyait même qu'il était venu jusqu'à Paris ; qu'il devait pénétrer par l'Est au moment de l'explosion, tandis que le Duc de Berry débarquerait par l'Ouest. Or, nous disait l'Empereur, je ne savais même pas, précisément, qui était le Duc d'Enghien ; la Révolution m'avait pris bien jeune, je n'allais point à la Cour ; j'ignorais où il se trouvait. On me satisfit sur tous ces points. « Mais, s'il en est ainsi, m'écriai-je, il faut s'en saisir et donner les ordres en conséquence. » Tout avait été prévu d'avance ; les pièces se trouvèrent toutes prêtes, il n'y eut qu'à signer ; et le sort du prince se trouva décidé. » (1) On sait ce qui s'ensuivit. Le Duc d'Enghien, qui était, en effet, à deux pas de la frontière et qui, incontestablement, se préparait à rassembler quelques troupes pour entrer en France au cas où la guerre éclaterait (on croyait même qu'il avait attiré près de lui le plus dangereux des généraux en exil, Dumouriez), le Duc d'Enghien est enlevé par ; une troupe de cavaliers sous les ordres du général Ordener. Au même moment, Caulaincourt procède à une expédition parallèle, également en violation du droit des gens à Offenbourg. Le Duc d'Enghien est amené à Paris ; de là, sans, une minute de repos, à Vincennes où il est traduit devant une Commission militaire présidée par le général Hulin. Après un interrogatoire sommaire, sans preuves à l'appui, sans audition ni de témoins ni d'avocat, sous l'oeil de Savary, qui ne laisse " nul répit aux juges et à l'accusé et qui intercepte la demande personnelle, formulée par le Duc, d'être reçu par le premier Consul, un jugement sommaire est rendu sans que les formes régu- (i) Mémorial, édition Lequien, i832,t. It, p.85. |