356 REVUE DES DEUX MONDES. ne savait même plus qu'il restât, de par le monde, un résidu de la famille royale, quelques princes dispersés, et, parmi eux, un prétendant, réclamant la couronne de ses pères et se qualifiant Louis XVIII. Pourtant, il multipliait ses déclarations, s'efforçant de rappeler son existence à chaque occasion. Ces manifestations platoniques d'un exilé, qui n'avait même pas su être un soldat, passaient inaperçues. La chouannerie, les complots, l'armée de Condé, la subordination aux Puissances étrangères, la solde reçue de l'Angleterre, tout contribuait à l'expulser de l'histoire de France. Inconnu, traqué de ville en ville, de royaume en royaume, cet étrange candidat, descendant de IIenri IV et qui était toujours contre la France, représentait, en plus, l'Ancien Régime : et, de l'Ancien Régime, la France ne voulait à aucun prix. Voilà qui réglait tout ('i). On oubliait le prétendant, mais, lui, ne s'oubliait pas ; et Bonaparte ne l'oubliait pas davantage. Tous deux sentaient se poser, entre eux, le problème de la légitimité, le problème de la dynastie. Le duel qui devait durer tout le siècle les mettait debout face à face. Ce fut Louis XVIII qui tira le premier. Louis XVIII, — le Comte de Provence, le « comte de l'Isle » dans l'émigration, était le gros homme court et goutteux, lettré et impuissant que l'on sait, avec toutes les petitesses et toutes les diminutions venant des intrigues d'une cour errante, des abandons d'une émigration raréfiée, sans parler du spectre de l'enfant du Temple. Malgré tout cela, cet homme restait le Roi. Dix siècles de gloire et de grandeur reposaient sur ses épaules courbées, et son pied enveloppé de ouate s'acheminait doucement vers les marches du trône. Il était entretenu, par ses entourages et par les événements eux-mêmes, dans le sentiment que les « convulsions » révolutionnaires n'auraient qu'un temps. Ayant vu les La Fayette, les Dumouriez, les Pichegru rompre avec la Révolution, ayant sondé l'âme des Barras, des Talleyrand, des Fouché, il ne se refusait pas à l'espoir, dont on le flattait, qu'un autre général (1) Voir le curieux ouvrage sur la Conduite de la Maison de Bourbon durant la Révolution, que Bonaparte, par la main de Duroc, commanda au fameux Barrère et qui ne fut publié qu'en 1835 : « La race des Bourbons est finie à jamais pour la France ; leur désertion a proclamé leur déchéance. Qui donc pourrait contester le droit indescriptible de renverser une dynastie dégénérée et d'en élever une autre ? » |