350 REVUE DES DEUX MONDES. des plus ardents conseillers de l'hérédité ; Portalis, jurisconsulte à la plume élégante, qui écrivit le fameux Discours préliminaire du Code civil, méridional fin et délicat, esprit lumineux qu'une cécité précoce ensevelit dans ses ombres ; Fontanes, le grand maître de l'Université, poète officiel, orateur officiel, harangueur de toutes les grandes circonstances, sigisbée infatigable de la sèche Élisa, élégant factotum, sentant le vent, très flagorneur, un peu Traître, dont il ne reste rien que l'honneur d'avoir introduit dans les lettres et dans l'action son dangereux ami, Chateaubriand ; Reinhardt dont Talleyrand fit l'éloge ; Maret, duc de Bassano, voué aux épigrammes du même Talleyrand, ministre exact et soumis, rédacteur infatigable des imaginations diplomatiques de Napoléon ; Hauterive, excellent fonctionnaire, embusqué dans les archives et y gardant jalousement les traditions de Choiseul quand Talleyrand n'était plus là ; Tronchet, jurisconsulte comme Cambacérès, Normand comme Lebrun, qui, né en 1726, apportait à Bonaparte, puis à Napoléon, le concours de tout le XVIIIe siècle ; Boulay de la Meurthe, qui étudia 30 000 dossiers et ne lâcha jamais pied, médiocre conseil d'ailleurs, mais étant, avec Defermon, de ceux dont Napoléon disait à Sainte-Hélène : « braves et honnêtes gens » I L'heure n'est pas venue d'énumérer les grands préfets, les Jean Debry, les Lezay-Marnesia, les Doulcet de Pontécoulant, les Jean Bon Saint-André, qui remirent sur pied la France ancienne et la France nouvelle. Nous les verrons à l'oeuvre, travaillant à fond dans les cadres élargis du grand Empire français. Ce qu'il faut comprendre seulement, pour bien saisir ce qui se produit à la minute où Napoléon élève sur sa tête la couronne impériale, c'est comment ces hommes anciens et ces hommes nouveaux, royalistes et révolutionnaires, s'attachèrent fermement à Bonaparte, quelles que fussent leurs conceptions individuelles, leurs ambitions, leurs vues sur l'avenir : car, c'est un groupe d'une masse et d'une signification uniques dans l'histoire de France, ce bataillon carré qui se dressa et se tint debout dix ans sans rompre au milieu de l'Europe. Et cela montre ce que peut la France, quand elle veut. Hauts en cravate, sanglés dans l'uniforme civil, l'épée au côté, se réveillant et réveillant leurs subordonnés au son du tambour, ces hommes, qui survivent dans les portraits de |