242 REVUE DES DEUX MONDES. Pour ces traversées, mon intelligence ne m'a jamais été que d'un médiocre secours. En dehors de la spéculation pure, l'intelligence n'est pas bonne à grand chose, ou elle doit jouer le second rôle, suivre les indications des faits ou du sentiment et en tirer le meilleur parti possible. Pour moi, c'est toujours 1 instinct qui m'a sauvé, cette réserve de sagesse qui faisait le meilleur de moi-même et que j'apportais d'ailleurs. J'ai été d'abord la plante chétive qui cherche péniblement le terreau et l'orientation propices, et pourtant j'étais aussi un esprit affamé qui cherche sa pâture. Dans cette quête de la nourriture, dans cette descente vers le monde extérieur, j'ai marché souvent au hasard. La belle aventure ! Il m'a fallu commencer par découvrir mon village natal. Pour cela, du moins, j'ai eu un guide, et un guide excellent, mon petit ami Jean Louis, bien mieux adapté que moi au milieu campagnard, ayant avec lui plus de communication et d'ouverture, et, alors qu'un rien me rebutait, sachant tirer son plaisir des choses les plus modestes ou les plus ingrates. ** Un beau jour, nous tenant par la main, toujours très sages dans nos sarraus bleus, Jean Louis et moi nous partîmes pour cette grande découverte. Ce dut être l'effet d'une inspiration extraordinaire et irrésistible, car l'un et l'autre nous étions nés casaniers. Petit à petit, nous nous mîmes à pousser des reconnaissances dans tous les quartiers du village. Dès qu'un recoin nous plaisait, nous en prenions possession, nous n'en voulions plus bouger pendant des jours et des semaines, car, encore une fois, nous étions des sédentaires à l'imagination vagabonde. Et puis, brusquement, un caprice, une illumination surgissait dans nos cervelles : nous déménagions comme une tribu nomade et, après une nouvelle course d'exploration, nous allions nous installer ailleurs. A la manière des jeunes chats qui s'éprennent des perchoirs les plus extravagants, il nous arrivait d'élire domicile dans des endroits absolument quelconques, dont le charme était une énigme, même pour nous. Ainsi la plus grande partie du plaisir que nous prenions à ces courreries, nous le tirions de nous-mêmes. Nous prêtions beaucoup plus au monde que le monde ne nous donnait. Et pourtant, ce Spiiicourt que nos imaginations enfantines |