340 REVUE DES DEUX MONDES. ; qu'elle le chasse dans les déserts, loin du monde civilisé (1).) ) Dans cette alternative ainsi présentée, il ne fallait voir qu'un artifice de dialectique, qui ne mentionnait une solution évidemment absurde, l'expulsion des Arabes, que pour en imposer une autre, leur évangélisation (2). Mais le maréchal de Mac-Mahon, le colonel Gresley, prirent la phrase de Lavigerie au pied de la lettre ; et, sous les regards impuissants du général de Wimpffen, qui estimait qu'en sauvant de la mort des milliers d'êtres Lavigerie avait « acquis le droit de diriger leur esprit et leur coeur vers le but le meilleur et le plus utile à la France », le conflit entre le gouverneur et l'évêque éclata. « Voulez-vous donc refouler les indigènes dans les déserts ? lui demandait en substance Mac-Mahon, dans une lettre du 26 avril. La France s'y refuse. Les indigènes ne vont-ils pas dire que vous voulez profiter de l'état de détresse où ils se trouvent, pour leur faire acheter, par le sacrifice de leur religion, le pain que vous leur donnez ? » Il accusait le prélat d'exciter à la haine entre les citoyens, et d'être devenu « un drapeau pour tout ce qui était hostile au Gouvernement ». Des bruits circulaient, d'après lesquels la maréchale de Mac- Mahon, qui, sous le précédent épiscopat, présidait toutes les oeuvres de charité, était menacée d'excommunication par le nouvel archevêque (3). « La guerre est déclarée, écrivait Lavigerie à l'abbé Bourret. Si le gouvernement de l'Empereur me disgracie, j'aurai pour compensation la joie de ma conscience. » Et du palais épiscopal d'Alger, deux lettres partaient, l'une pour le maréchal, l'autre pour l'Empereur. Lavigerie, répondant à Mac- Mahon, réclamait pour l'Évangile, en Algérie, terre de chrétienté, la même liberté que dans les pays infidèles. Combien discret serait l'usage de cette liberté, il l'attestait en affirmant : « Je n'ai pas voulu, et je l'ai déclaré hautement, qu'un seul des t 200 enfants recueillis par moi fùt baptisé, autrement qu'au moment de la mort ; et encore, au moment de la mort, je ne l'ai permis que pour ceux-là seulement qui n'avaient pas (1) Lavigerie, Ouvres choisies, p.165-166. (2) Voir les explications de Lavigerie dans OEuvres choisies, I, p.168-170 et 174-116. (3) Général du Barail, Souvenirs, 111, p.48. |