78 REVUE DES DEUX MONDES. la sienne; il l'arrache au bourbier où elle s'enl izait ; en plus, il découvre, du premier coup, sa manière qui est la surprise, la détente brusque de l'acte frappant l'adversaire au point où il l'attend le moins et lui assénant le coup de massue. Dès lors, Bonaparte commande à tous et à tout, aux siens, aux événements, à l'ennemi. Voyez comme il parle au vieux Kellermann, au vainqueur de Valmy, en lui donnant des ordres au nom du comité de Salut public. Marmont écrit • « Bonaparte avait laissé depuis le siège de Toulon, dans la mémoire de tous ceux qui l'avaient vu à la besogne, une conviction profonde de son caractère, de sa haute capacité. » Dans les grandes affaires, il faut d'abord voir les ensembles et les relations des choses entre elles. Aucune difficulté n'est isolée, ni spéciale ; tout est lié. Une préparation complète est nécessaire pour entraîner l'esprit à cette constante et efficace vigilance circulaire. Bonaparte s'est acquis la préparation générale indispensable par des études approfondies qu'il a prolongées longtemps après Brienne et après l'École militaire. En cela, il est prêt. Son esprit s'est formé et exercé d'avance ; dans ses notes, on le voit s'attardant aux difficultés techniques, politiques, etc., et se livrant, sur lui-même, à une sorte de gymnastique d'entraînement; surtout il a affiné et éprouvé ce ressort soudain de l'esprit, qui est sa nature propre, l'intuition. Avant tout raisonnement, l'intuition prend parti ; dans l'ordre supérieur, le trait de l'intuition, c'est l'éclair du génie. Détente indéfinissable qui vient, à la fois, du corps, de l'intelligence et de l'àme. « Première impression » dont on dit « qu'elle est la bonne ». Si l'on s'attarde sur des dossiers ou dans des conciliabules, la veine se vide, la chance s'enfuit. « Le sort d'une bataille, disait l'Empereur, est le résultat d'un instant, d'une pensée : une étincelle morale. » Il a raconté que ces illuminations lui venaient souvent la nuit, dans un réveil soudain, alors que l'esprit et le corps s'étaient reposés : c'est ce qu'il appelait la présence d'esprit d'après minuit. Dans chaque cas particulier, plusieurs voies se présentent à. l'esprit. Napoléon, comme Richelieu, les examine les unes et les autres; (Richelieu même les met par écrit, en ordre) et il les suit à la piste, pour ainsi dire, jusqu'à leur résultat. C'est |