2 ~ REVUE DES DEUX MONDES. Obi nos, Verge sagrada, Maria de l' ont-Romeu !... Alors, ne pensant plus à rien de ce qui l'attendait en bas, redevenu un petit enfant, Jean Perbal commença, en ces termes, le récit de sa vie, l'interrogatoire de sa destinée... II. -- LA TRAGIQUE ET RISIBLE AVENTURE Je vins au monde, un jour de mars, dans une des régions les plus tristes de la triste Lorraine. Cette tristesse est en moi, tout au fond de moi. Elle m'est, si jepuis dire, congénitale. C'est comme un chagrin d'être né là, le sentiment d'une erreur initiale et irréparable, le regret douloureux de m'être trompé de porte et d'avoir manqué mon entrée. Car, sitôt que je pris conscience du désastre, je me désespérai de n'ètre pas d'ailleurs. Tout ce qui m'entourait m'apparut sous l'aspect le plus désolant. Par la suite, j'ai eu beau essayer de réagir contre cette impression première, m'appliquer très sincèrement à corriger ce qu'il y avait d'excesssif et d'injuste dans cette première vision : je n'ai jamais pu y réussir complètement. Rien à faire contre cela. C'est le premier pli qui a marqué ma sensibilité d'enfant. Mon pays, que j'aime pourtant de toute mon âme, est, pour moi, d'une tristesse infinie. C'est ainsi que je le sens toujours, et que je l'ai senti tout d'abord... L'autre jour, en feuilletant de vieux papiers, j'ai retrouvé des notes qui datent de dix ans. Ce sont des pages, écrites pendant la Grande Guerre, sur Spincourt, mon village natal. Je vais te les lire, parce qu'elles expriment plus profondément que je ne saurais le faire, en ce moment, ma première et instinctive réaction en face de mon pays, mon impression la plus vive et la plus durable. Voici ces pages, auxquelles je te prie, cher ami, d'être indulgent : « ... A perte de vue, une grande plaine agricole aux ondulations insensibles, une platitude morne qui commence on ne sait où et qui a l'air de ne pas finir, c'est la Woëvre finissante, aux environs de Spincourt. Au printemps, cette platitude a quelque chose de décourageant pour le regard. L'attention ne sait où se prendre, tant c'est misérable. La bigarrure des champs cultivés morcelle l'étendue en une foule de petites |