22 REVUE DES DEUX MONDES. devant l'avenir. Je m'étonnais alors qu'étant celui qu'il m'avait dit, il pùt se permettre cette villégiature si loin du lieu où il avait affaire et, en somme, si loin du monde, s'isoler dans cette solitude voisine du ciel. Dans l'espoir de l'obliger à parler, encore une fois je revins à la charge. C'était, comme toujours, sur la terrasse de l'hôtel, où nous avions notre place, où nous faisions de longues stations, matin et soir. Le dîner finissait. Le chant nostalgique des violons venait d'expirer. Une lune nouvelle montait dans un ciel extraordinairement pur. Le décor sublime des monts se déployait devant nous, et, sous les crêtes dentelées de la Sierra de Cadi, la perpétuelle cuve des enchantements qu'est la plaine de Cerdagne commençait à sombrer sous des amas de vapeurs. La minute semblait m'y inviter. Je dis à Perbal : - Tu m'as bien parlé de l'attrait que cette terre exerce sur toi et que je subis, peut-être, encore plus que toi. Mais tu ne me dis toujours pas ce que tu es venu faire ici. La plus grande partie de la journée, je te vois enseveli dans des paperasses. Ce ne peut pas être pour ces besognes, que tu accomplirais beaucoup mieux ailleurs, non, ce ne peut pas être pour cela que tu es venu... - Puisque tu sais tout, me dit-il, pourquoi m'interrogestu ? 117es raisons sont les mêmes que les tiennes, encore une fois !... Moi aussi, je vois la vieillesse venir, je vois les portes d'où l'on ne revient pas... Eh bien ! comme toi, avant de mourir, peut-être que je mourrai demain : je sais trop ce qui attend, un jour ou l'autre, les violents de mon espèce, je voudrais m'arracher à la dispersion, faire halte un instant... Tu l'as deviné sans doute : j'ai médité les paroles de Silvange... I1 me semble, à présent, qu'il a raison : toute vérité est originelle, tout a été donné dès le commencement, et c'est pourquoi je voudrais essayer de retrouver l'empreinte première, la pure effigie de mon âme... oui, ressaisir ce qu'il y a en moi d'essentiel, de lumineux et de durable, peut-être d'éternel ! tout ce qui s'est obscurci et comme dissous, émietté avec la vie... Je voudrais me revoir tel que je fus d'abord. Car enfin qui m'est plus ami que moi-même? Qui m'enseignera mieux sur moimême ?... Profiler de cette halte si brève, devant cette nature primitive, non encore adultérée par l'homme, qui ne parle que de durée et d'éternité, dresser mon enfance éphémère, ce |