20 REVUE DES DEUX MONDES. d'Europe, les nègres de France, qui les sauvera? qui les convertira ? qui les retournera vers la grande Source de tout. Ils s'imaginent que la vérité, que le progrès sont devant eux. Mais non, la vérité et la perfection sont à l'origine des temps. Tout a été donné dès le commencement... Au commencement était le Verbe, le Verbe, « par qui toutes choses ont été faites... per guem omnia fiicta sont! » corn me chiante le Credo... Au lieu de remonter vers lui, le monde descend. Jamais peutêtre la descente n'a été plus vertigineuse, la chute infinie dans les ténèbres de la sensation... Et pourtant, il me semble qu'il serait si facile de les ramener, de leur révéler leur propre coeur, de les rendre à eux-mêmes !... Perbal et moi, nous nous sentions comme violentés par la foi entraînante du missionnaire. Sans que nous l'eussions cherché, ni lui, ni nous-mêmes, grâce à un concours fortuit de circonstances et d'influences plus ou moins conscientes, et puis, parce que le lieu s'y prêtait, parce que les cimes et les solitudes voisines parlaient le même langage que le Père, et que nous les écoutions en même temps que lui, c'était vraiment le Sermon sur la montagne... Dans la même minute, nous perçûmes une rumeur de cantique qui se rapprochait, qui s'élevait vers nous. Des pèlerins de la Cerdagne, venus à Font-Romeu pour les fêtes de l'Assomption, montaient au Calvaire, en chantant la divine et enfantine chanson, le « goïg » immémorial qui est la voix mystique de cette terre : Ohi nos, Verge sagrada, Maria de Font-Ilomeu 1... Nous n'osâmes point lever les yeux les uns vers les autres. Une pudeur instinctive, une peur toute lorraine de hausser le ton nous empêcha de nous communiquer l'exaltation pareille que nous sentions en chacun de nous. Nos visages étaient figés et blêmes, nos regards semblaient avoir peur de se rencontrer. Et pourtant nous eûmes conscience, tous les trois, qu'un pacte secret et informulé venait de nous unir, en ce rapide instant. Le soleil couchant sombrait dans des nébulosités d'orage. Un vent froid s'était mis à souffler. Le paysage assombri, avec ses roches, ses grands espaces dénudés, et, çà et là, ses maisoLs |