1 REVUE DES DEUX MONDES. Mais j'avais déjà prononcé un nom, dont la renommée est, aujourd'hui, mondiale. - Je t'en prie, me dit-il, ne le répète pas 1... Tu dois comprendre que des bandes d'espions me suivent à la piste, et que, pour les hommes de ma sorte, l'assassin n'est jamais loin... En même temps, il promenait un regard circonspect autour de nous : la terrasse était déserte. Les flâneurs avaient quitté leurs fauteuils d'osier, et la petite Espagnole elle-même était partie, après avoir passé la bague à son doigt. On eût dit que la personne de mon ami répandait la terreur aux alentours. La chaleur montait. Les pics bleuâtres baignaient dans une grande houle lumineuse. Je frémissais, frappé par l'accord fortuit et troublant qu'il y avait entre ces déclarations superbes et la splendeur de l'instant. Ébloui, perdu dans des hypothèses et des déductions sans fin, je finis par articuler : - Mais alors ?... Tu as dù changer de nom ?... - 11 l'a bien fallu ! je te conterai cela plus tard 1... En attendant, pour toi, comme pour tout le monde, je suis, je dois rester, M. Jean Perbal, constructeur d'automobiles à Barcelone... Mon cher, j'ai, ici, au garage, une cinquantechevaux étonnante. Déjà vingt ' imbéciles m'ont demandé à l'acheter... Mais j'entends la sonnerie du déjeuner. A table, je t'expliquerai tout, et tu seras le tombeau des secrets, tu ne diras rien ; tu sais qu'il y va peut-être de ma vie 1... - Je te le jure ! lui dis-je, d'un ton moitié ironique, moitié sérieux. Car je n'étais pas encore bien convaincu que mon ami ne se moquait pas de moi. * * Nous déjeunâmes au premier étage, dans un petit salon attenant à une chambre à coucher et à un cabinet de travail. Tout en mangeant, Perbal m'expliquait sa prodigieuse fortune. Je n'en redirai rien, pour le moment du moins : je le lui avais promis. Mais, à mesure qu'il parlait et que mes étonnements augmentaient, j'éprouvais un sentiment bizarre. Il me semblait qu'une main magique venait de déchirer un rideau de ténèbres et qu'elle développait devant moi les perspectives d'une autre existence, qui m'attirait et qui me repoussait tout ensemble. Instinctivement, je me mettais à la place de Perbal, |