228 REVUE DES DEUX MONDES. émue... Il faut dire que ce bout de scène a été joué à ravir par M. Victor Boucher. Les auteurs ont soigné l'entrée de leur interprète favori. Désormais, il sera toujours en scène, il sera toute la pièce. Jacques Gaillac, c'est le nom de l'électricien, — est en même temps secrétaire général de la Confédération internationale du travail. Le second acte nous le montrera dans le cadre de son royaume poudreux et dans l'exercice de sa souveraineté. Car, le comte de Montoire en fait la très juste remarque, l'absolutisme de Louis XIV n'est pas mort : il est passé en d'autres mains. Le secrétaire de la C. I. T. lance des ordres partout obéis, fait marcher les ouvriers, plier les patrons, rétrograder les soldats et trembler les ministres. Cet autocrate, nouveau jeu, plaît beaucoup à Suzanne Verrier; mais quoi ! elle est obligée de partir le soir même pour sa châtellenie de Bretagne; elle ne peut que lui donner rendez-vous à son retour, dans trois mois. Jusqu'ici, le secrétaire de la C. I. T., s'abstenant soigneusement de confondre syndicalisme et politique, avait écarté avec dédain la députation qu'on lui offre avec insistance. Sa rencontre avec une petite femme bien nippée a beaucoup changé ses idées. A l'acte suivant, il est député et même ministre : il porte la redingote, qui d'ailleurs le gêne. M. Victor Boucher, pour rendre sensible ce détail qui n'est pas seulement un détail matériel, s'est avisé d'un geste qui est du meilleur théâtre : au reçu d'une lettre qu'il veut garder, Jacques Gaillac cherche instinctivement, à son côté, la poche du veston coutumier... Cette lettre est de Suzanne ; elle annonce son retour au jour et à l'heure dite : les importants personnages qui ont à conférer avec le ministre, attendront. Le président de la République lui-même en sera réduit à se contenter d'une conversation par téléphone, et quelle conversation ! Mais, tout à coup, patatras ! Le ministère est renversé. Et commençant à soupçonner que Suzanne Verrier tient à son luxe, c'est-à-dire a besoin d'argent, l'ex-ministre est sur le point d'accepter, dans une affaire louche, un poste d'administrateur aux appointements de trois cent mille francs par an. Heureusement, il y a une force des choses. Elle se fera sentir au dernier acte en remettant chacun à la place qui lui convient. L'aimable théâtreuse s'installe dans son existence confortable de femme entretenue, qui aspire à se faire épouser. Cette vieille ganache de Montoire fera, avec sa solennité de toujours, la suprême sottise. Quant à Jacques Gaillac, il est mûr pour la Société des nations. L'ordre est rétabli. |