218 REVUE DES DEUX MONDES. à constater. Ils apprirent, et à leur dam, qu'il y avait une Angleterre très farouche et arrogante, et des Anglais à qui notre qualité de Français n'imposait pas. La Scandinavie attriste Bouillé par son aspect de misère ; et pourtant il se demande si le pays n'a point gagné, « à ce retard de la civilisation, à cette rudesse d'usages et de moeurs dignes de son climat, des vertus que d'autres peuples ont perdues en se polissant ». Les Allemagnes ne déplaisent pas aux voyageurs qui les ont parcourues, etc. Tant de voyages et de séjours en pays étrangers eurent des conséquences. Il est utile et dangereux d'aller ailleurs voir comment d'autres gens résolvent le problème de vivre. L'on y peut découvrir de bons stratagèmes, et des motifs de préférer aux habitudes que l'on avait d'abord chez soi maintes habitudes très différentes. L'on adopte, et fût-ce involontairement, des façons nouvelles. Les singularités qu'ils entrevoyaient durent choquer les émigrés, avant de les intéresser, puis de les séduire quelquefois. Et ensuite plusieurs d'entre eux sont devenus, dit Mallet du Pan, des cosmopolites. Mme de La Tour du Pin les a vus à Lausanne, les premiers temps, se moquer de tout. Elle les blâme de leur étonnement, de leur impatience à noter et accepter qu'il y ait, ici-bas, une autre vie que la leur. Ils disaient, paraît-il, « ces gens-là », pour désigner les habitants:d'un pays où ils recevaient l'hospitalité ; ils se figuraient qu'on était trop heureux et flatté de les accueillir. Peu à peu, ils s'accoutumèrent à n'être plus si vaniteux; et ils aimèrent jusqu'au désordre que mettait dans leur esprit la connaissance d'une extrême diversité des paysages, de l'art et des moeurs. Les disparates de l'univers, qui les avaient éberlués, vinrent à les divertir et leur donnèrent à goûter le sentiment du pittoresque. Peut-être, ainsi que M. Fernand Baldensperger paraît le supposer, le romantisme a-t-il là l'une de ses origines. Or, ils avaient quitté leur patrie, à contre-coeur sans doute, mais soit que les y contraignît le soin de leur sûreté ou une idée urgente de leur devoir. Une fois à l'étranger, cette idée les tourmente ou bien tourmente les meilleurs d'entre eux ou les plus attentifs : cette patrie qu'ils ont quittée, ne l'ont-ils pas désertée? Les gaillards qui ont été cause de leur départ, ou de leur fuite, s'attifent du nom de patriotes : c'est une insulte à eux qui sont dehors. Il leur faut, pour repousser cette insulte, élaborer une notion nouvelle de la patrie. Est-ce qu'on va les chicaner là-dessus? Bonald répond : « L'émigration, forcée pour quelques-uns, fut légitime pour tous. Le |