206 REVUE DES DEUX MONDES. des bourricots disparaissant entièrement, on n'aperçoit que leurs oreilles et le bout de leurs pattes, sous les toiles de tentes ficelées, les outres poilues et les sacoches à chevreaux ou à bébés. De jeunes Bédouines, roulées dans l'ample robe de cotonnade bleu-noir, et une vieille loqueteuse qui tient une longue pipe, nous regardent curieusement. Leurs yeux ne se détournent pas des nôtres. Elles ont la figure nue ; sur leur menton un tatouage compliqué, un réseau de dentelles bleues. Ce sont les princesses de Kédar et les servantes des patriarches. Tandis que la Bédouine à la retraite nous mendie du tabac, les jeunes babillent, s'agitent autour d'un gros sac de grains et d'une meule primitive formée de deux pierres rondes, ou bien, un roseau à la main, battent des guenilles qui, dans l'illumination du soleil finissant, chatoient, magnifiées, en couleurs vives. Deux Noirs posent des ballots devant elles. - Des Abid, me dit D.... Les Abid sont des nègres vivant parmi les tribus : esclaves que les hadji ont achetés sur les marchés de la Mecque et qu'ils ont revendus le long de la route. D., qui est, comme moi, de ceux que séduit le vigoureux relief du nomade d'Arabie, a cessé de me parler des coléoptères hétéromères pour m'expliquer cette autre faune. Et il s'amuse un instant du paradoxe bédouin. - Ici, tout s'étiole, voyez-vous, hormis le Bédouin et son chameau. Ces êtres surprenants arrivent à prospérer dans ces pays et sous ce climat 1... Précisément, nous avons devant nous un groupe d'Anezeh d'un type assez remarquable, sveltes, des jambes longues, nerveuses et fortes, la figure d'un bel ovale, le regard aiguisé par l'habitude de scruter l'horizon ou de lire la trace des hommes et des bêtes. D... me quitte quelques minutes pour répondre à un homme qui veut à tout prix lui débiter le pedigree de son cheval, une magnifique bête du Nedjed au poil argenté d'un brillant irréprochable et aux yeux immenses et singulièrement doux. Ces Anezeh, horde maîtresse du désert syrien, possèdent des haras féconds. Ce sont les plus riches des Bédouins. Ils ont pourtant l'air de gens de sac et de corde, ou de mendiants, avec leurs abba rapiécés et leurs pelisses de peaux de moutons cousues ensemble. D... connaît leurs transhumances et leurs aiguades. Il les a pratiqués longuement, comme d'ailleurs tous |