200 REVUE DES DEUX MONDES. Nous arrivons. Nous apercevons, plantée au pied d'un éperon du Djebel Oumm Seilieh, la palmeraie d'Aqabah : elle s'élance vers les cimes bibliques, comme une offrande du golfe ou comme un rêve géant du désert endormi. Les deux murailles de montagnes se prolongent, parallèles, vers le Nord, enfermant les solitudes mouvantes d'une mer desséchée : les sables du pays d'Edom. Nuit candide et tiède. La lune montre sa face ronde d'Astarté, au milieu des étoiles qui vont, tranquille caravane éternelle. Madian et le Sinaï épanchent une influence magique et blanche. A larges ondes sidérales, le lait de la voie lactée ruisselle. Le golfe a l'air d'une cuve d'argent, et au ras de l'eau on voit courir des frissons, tantôt lents et tantôt rapides... ... Je ne sais plus les jours. Le bourdonnement des choses quotidiennes s'est arrêté. Je sens autour de moi l'éternité des choses immobiles. Les heures suivent les heures, sans différence vaine, pareilles aux grains d'un chapelet. Elles s'égrènent sans qu'on y prenne garde, lentes, monotones, exemptes de désirs, d'un souffle égal. Et la lumière brille sur nos tentes, comme elle faisait sur les tentes de Moïse, homme de Dieu. Lumière d'élection, attardée aux granits, et à ces eaux qui me donnent l'illusion qu'elle y est née, tant elle s'y montre jeune, virginale. Je respire un air léger, un air d'oiseau, dirai-je, subtil, composé de la sécheresse du désert, de l'odeur saline de la palmeraie, de la douceur du golfe, un air qui a la pureté des premiers matins de la terre. Je respire, avec cet air, les mystiques puissances d'Asie, comme un encens. Tranquille contemplation ! Invariables, les aubes en leur grâce pouprée, invariables les soirs en leur apothéose sanglante. Le jour se lève, le jour meurt : c'est tout le drame quotidien. Oh I que je suis loin des choses et des gens dont on fait tapage autour des boulevards 1 Tout donne à celte grève ignorée un éloignement inouï. Recul paradoxal de temps et d'espace. N'est-ce point du fond des siècles et du bout du monde que j'écris ces lignes ? D'ici l'on dominerait la vie, si l'on n'éprouvait ce quelque chose de mystérieusement oppressant qui est, pour moi, l'âme de ce pays, et surtout si l'on ne se sentait perdu et comme anéanti dans la stabilité formidable des choses. Un caractère de pérennité est empreint sur le visage d'Aqabah ; golfe, oasis et |