198 REVUE DES DEUX MONDES. sphère de ce golfe. Je les laisse me pénétrer. Sensation très forte et douce, et qui dilate la poitrine et l'emplit tout entière, tel qu'un vent salubre. Madian ! Je regarde ces sommets nus, déchirés, fouillés par le rude ébauchoir de l'air et du temps, avec leurs riches colorations, teintes rosées des granits, nuances rougeâtres et violettes des porphyres. Vient le second du bord m'expliquant queMakna est par là. Makna ? C'est vrai, l'ancienne capitale de Madian., Des mines d'or et de cuivre y furent exploitées dans l'antiquité. « Il y a même, s'écrie l'enseigne, un papyrus du temps de Ramsès III, qui dit en détails une navigation vers cc les grandes mines du pays d'Aqabah. » Et à Makna, en 1811, l'explorateur Richard Burton trouva encore de l'or. » De l'or... Au-dessus de Makna, un massif escarpé étincelait et des pans de murailles verticales luisaient comme une coulée de métal en fusion jamais tarie. Et quels tons, là-bas, un peu plus loin : de l'ambre et du rubis et du rouge brique et du soufre t... Une tradition arabe localise l'histoire de Moïse en Madian dans le voisinage de Makna. C'est cette même tradition qui a conduit nombre d'exégètes à placer le Sinaï en Arabie. Mais peu me chaut, je l'avoue, que le Djebel Baghir et le Djebel Hala et Bedr soient des montagnes saintes ; de ces nouvelles localisations du Sinaï biblique je me désintéresse tout à fait, et, comme disait un fameux critique, j'abandonne ce problème « aux dilettantes ». Et je me tourne, avec une ferveur de pèlerinsoldat du moyen âge, vers les massifs du Sinaï traditionnel, qui, à présent, baignent leurs pieds dans d'immobiles vapeurs violacées et sombres, tandis que leurs cimes rosées s'élancent dans l'air diaphane. Un rêve divin repose parmi ces hauts lieux, où je vois vivre une lumière d'Éden sous un ciel d'immortelle jeunesse... Quel beau silence!... A mesure que nous avançons, la mer d'Aqabah se resserre davantage, et Madian et le Sinaï se font plus proches. El nous voyons, pendant des heures, les solitudes passer après les solitudes. A gauche comme à droite, se succèdent avec lenteur des mornes desséchés, des amas de roches effritées par les soleils, affectant les formes les plus singulières et dans lesquelles l'officier hedjazien qui est à bord croit reconnaître « des aigles et des têtes de démons ». Avec lenteur se déroulent des surfaces dénudées, tables ou plateaux interrompus par des failles |