1.94 REVUE DES DEUX MONDES. ment la Constituante, esclave du système qui ne voulait voir dans la Nation que les individus, à l'exclusion des groupements sociaux ou professionnels, établit la représentation sur une base purement territoriale ou administrative. Pour empêcher la représentation des intérêts particuliers, elle sectionna le peuple en des collèges formés de citoyens égaux les uns aux autres.: Élu dans ces conditions, le député ne représente plus le groupe qui l'a élu, mais la nation tout entière. Il y a aujourd'hui une forte réaction à ce sujet. C'est la suite de celle que nous avons notée au début de cet article contre l'individualisme. Des maîtres en droit constitutionnel opposent à l'idée de souveraineté nationale, conçue comme la souveraineté de la majorité numérique des individus, celle de la puissance sociale des groupements syndicaux (1). Les voeux en faveur de la représentation des groupements professionnels s'appuient encore sur une autre raison : c'est l'extension qu'ont prise depuis quelque temps les attributions de l'État. Elles débordent aujourd'hui le domaine qui lui était jadis affecté ; la complexité de la vie économique moderne multiplie pour l'État les occasions d'intervenir. Si le Gouvernement ne doit exercer directement par lui-même aucune fonction économique, il ne doit se désintéresser d'aucune (2). De là l'idée de juxtaposer, au Parlement politique, un Parlement économique. Les objections à ce système sont nombreuses ; ce n'est pas ici le lieu de traiter de la représentation professionnelle (3). Nous avons voulu seulement poser la question, parce qu'elle touche au rôle des groupements syndicaux. En attendant, les Chambres syndicales et les autres associa- (1) Léon Duguit, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Bordeaux, Traité de droit constitutionnel, tome I, p. 511. (2) M. Duthoit, dans la Leçon d'ouverture de la Semaine sociale de Strasbourg (1922). (3) Sans parler des études de M. Charles Benoist parues ici même en 1896, M. Martin-Saint-Léon, à la Semaine sociale de Strasbourg, a exposé les systèmes de représentation nationale des intérêts économiques en France et à l'étranger. On trouvera dans le grand ouvrage de R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l'État (t. II, pp. 199-381 et pp. 484-480), un exposé critique de la notion de représentation dans le droit public moderne. L'éminent professeur de l'Université de Strasbourg discute à fond la conception individualiste. On devra se rapporter à ces pages magistrales toutes les fois que reviendra la question de la représentation des intérêts. ' |