176 REVUE DES DEUX MONDES. regardait le ciel. I1 vit s'allumer puis s'éteindre le couchant. Les anges gardiens, couvrant l'horizon de leurs ailes d'or, s'apprêtaient à dormir; la journée s'était heureusement passée; la nuit s'annonçait calme et paisible : ils pouvaient tranquillement rester chez eux, au Ciel... Iégôrouchka vit le ciel s'assombrir, la buée descendre peu à peu sur la terre, et s'allumer l'une après l'autre, les étoiles. Quand on tient longtemps les yeux fixés sur la profondeur du ciel, peu à peu tout se confond dans la conscience de notre solitude : on se sent irréparablement seul : tout ce qui jusquelà vous était familier et cher, s'éloigne indéfiniment et devient sans valeur. Les étoiles qui regardent du haut du ciel depuis des milliers d'années, le ciel lui-même incompréhensible, l'ombre mystérieuse, tout cela qui est indifférent à la courte vie de l'homme, accable l'âme du poids de son silence. Alors l'idée d'une autre solitude, celle qui attend chacun. dans la tombe, nous vient à l'esprit, et l'essence de la vie apparaît désespérée, terrible... légôrouchka pensa à sa grand mère qui dormait maintenant au cimetière sous les cerisiers. Il se la rappela couchée dans le cercueil avec des sous de cuivre sur les yeux ; il se rappela ensuite comme on la couvrit d'un couvercle et comme on la descendit dans la tombe. Il se rappela le bruit sec des mottes de terre sur la bière... 11 se représenta sa grand mère dans son cercueil étroit et sombre, délaissée de tous, et sans secours. Son imagination lui montrait sa grand mère se réveillant, ne comprenant pas où elle était, frappant le couvercle, appelant au secours, et, à la fin des fins, accablée de terreur, mourant une seconde fois. Il s'imagina morts sa maman, le P. Christophore, la comtesse Dranitski, Salomon ; mais quelques efforts qu'il fit pour se figurer lui-même dans la tombe obscure, loin de sa maison, sans secours et mort, il n'y réussit pas : personnellement il n'admettait pas pour lui, la possibilité de mourir, et ii sentait qu'il ne mourrait jamais... Traduit par M. Denis Roche. ANTONE TOBÉgHOV 'La dernière partie au prochain numéro.) |