171 REVUE DES DEUX MONDES. cuiller ébréchée. A quelque distance, les yeux rouges pat. la fumée, étaient assis Vâssia et Kirioûkha; ils nettoyaient le poilsson. Devant eux gisait le filet, couvert de vase et d'herbes, sur lequel brillait le poisson et grouillaient les écrevisses. Le poisson nettoyé, Kirioûkha et Vâssia le remirent dans le seau avec les écrevisses vivantes, le passèrent à l'eau_ une fois et jetèrent le -tout, du seau, dans l'eau bouillante. Avant d'enlever la marmite du feu, Stiôpka versa dans l'eau troi§ poignées de millet et une cuillerée de sel. En dernier lieu, il goûta, fit claquer ses lèvres, lécha la cuiller et renifla de contentement; cela signifiait que la pitance était prête. Tous, sauf Pantéley, s'assirent autour de la marmite et commencèrent à jouer des cuillers. - Vous autres, donnez une cuiller au gamin ! Il veut manger lui aussi ! - Nous M'avons qu'une nourriture de moujiks, soupira Kirioûkha. - S'il lui plaît de goûter à une nourriture de moujiks... On donna une cuiller à Iégôrouchka. 11 commença l manger sans s'asseoir. Çà et là, dans le millet, se trouvaient des écailles de poisson. On ne pouvait pas attraper les écrevisses avec la cuiller ; les dîneurs les prenaient simplement avec leurs mains. Vâssia surtout ne se gênait pas : il trempait dans la marmite, non seulement ses mains mais ses manches. La matelote sembla cependant à Iégôrouchka très savoureuse ; elle lui rappela la soupe aux écrevisses que sa mère faisait les jours maigres. Tout en mangeant, on causait. De la conversation générale, Iégôrouchka dégagea que toutes ses nouvelles connaissances, malgré les différences d'âges et de caractères, avaient un point commun : ils avaient tous un bon passé et un très mauvais présent. De leur passé tous parlaient avec enthousiasme, et du présent avec -mépris ; le Russe aime à se souvenir, mais il n'aime pas à vivre. Iégôrouchka ne savait pas encore cela : tout naturellement, il pensait qu'autour de la marmite étaient assis dés hommes que te sort avait maltraités et offensés. Pantéley racontait qu'autrefois, quand il n'y avait pas encore de cheinins de fer, il allait avec les chariots à Moscou et Nîj ni, et qu'il gagnait tant, qu'il ne savait où dépenser son argent. Et quels marchands il y avait en ce temps-là! quel poisson I comme tout était bon marché! Maintenant les trajets étaient plus courts, |