172 REVUE DES DEUX MONDES. Ce dernier buvait des coups ; Dymov, marchant sur des racines piquantes, trébuchait, s'accrochait dans le filet. Tous deux se débattaient, faisaient du bruit. Vous n'attraperez rien I leur criait Pantéley de la berge. Vous effrayez le poisson, imbéciles que vous êtes I Allez à gauche, c'est moins profond. Prenant à gauche, Dymov et Kirioûkha arrivèrent sur un fond : alors la pêche devint sérieuse. Ils étaient éloignés des chariots de trois cents pas. On les voyait silencieux, bougeant à peine les pieds, s'efforcer de draguer au plus profond, et le plus près possible des roseaux, traîner le filet; et, pour effrayer le poisson et le pousser dans leur rets, ils frappaient l'eau des poings et agitaient les roseaux. Derrière eux, avec un seau, marchait Stiôpka, la chemise relevée jusqu'aux aisselles et en tenant le bas avec ses dents. Après chaque prise, il brandissait en L'air quelque poisson et, le faisant briller au soleil, criait : Regardez, quelle perche 1 Il y en a déjà cinq pareilles ! Maintenant, sorti de l'eau et, tenant le seau des deux mains, il courait aux chariots. - Le seau est plein, criait-il haletant. Donnez-en un autre! Iégôrouchka regarda dans le seau ; il était plein, en effet. Un jeune brochet sortait de l'eau sa vilaine tête et, autour de lui, grouillaient des écrevisses et du menu poisson. Iégôrouchka plongea la main au fond du seau et troubla l'eau. Le brochet disparut sous les écrevisses et, à sa place, vinrent à la surface une perche et une tanche. Vâssia aussi regarda dans le seau. Ses yeux s'humectèrent, sa figure devint caressante, comme quand il avait vu le renard; il retira quelque chose du seau, le porta à sa bouche et se mit à mâcher ; un craquement se fit entendre. - Frères, dit Stiôpka étonné, Vâssia mange un goujon tout vivant! Pouah! - Ce n'est pas un goujon, mais un cyprin, répondit tranquillement Vâssia, en continuant à mâcher. Il retira de sa bouche une petite queue de poisson, la regarda tendrement et se remit à la croquer. Cependant il semblait à Iégôrouchka que ce n'était pas un homme qu'il avait devant lui ; le menton bouffi ale Viassia, ses yeux ternes, sa vue extrtordinairc anent perçante, cette queue de poissou |