462 REVUE DES DEUX MONDES. mélancolie et de plainte... On sent le foin, l'herbe sèche et les fleurs tardives, et l'odeur est lourde, pénétrante et d'une douceur fade. A travers la buée on peut tout voir, mais il est difficile de discerner les couleurs et les contours des choses; tout semble différent de ce qui est en réalité. On avance, et soudain on voit devant soi, sur la route même, une silhouette qui semble celle de quelque moine. Le moine ne bouge pas, attend, et tient quelque chose dans les mains... Serait-ce un brigand? La figure se rapproche, grandit ; elle est près de la voiture. Et on s'aperçoit que ce n'est pas un homme, mais un arbuste isolé ou une grosse pierre. De pareilles ombres, immobiles, attendant on ne sait quoi, se dressent sur les collines, se cachent derrière les tumuli, surgissent entre les hautes herbes, et toutes ressemblent à des êtres humains et inspirent la méfiance. Quand la lune se lève, on voit la nuit pal ir et les ombres s'accentuer. De buée, plus de trace. L'air est transparent, frais et tiède. On distingue bien son chemin, et on peut compter près de la route les tiges des hautes herbes. A perte de vue s'aperçoivent des crânes et des pierres. Les figures Suspectes, qu'on prendrait pour des moines, paraissent sur le fond clair de la nuit, plus noires et plus sombres. De plus en plus souvent, au milieu du monotone grésillement des insectes, qui trouble l'atmosphère immobile, se fait entendre le « a — a 1 » étonné, et retentit le cri d'un oiseau réveillé ou qui rêve. Si l'on regarde longtemps, des images vaporeuses et fantastiques s'élèvent et s'entassent l'une sur l'autre... On a un peu peur. En regardant le ciel vert-pâle, semé d'étoiles, où il n'y a pas un nuage, pas une tache, on comprend pourquoi l'air tiède est immobile, pourquoi la nature est sur le qui-vive et a peur de bouger : elle ne veut pas perdre un instant de vie. On n'a la sensation de la profondeur infinie et de l'immensité du ciel que sur mer et dans la steppe, la nuit, quand la lune brille. Là, il effraie et il caresse ; il regarde avec langueur et il attire; sa caresse fait tourner la tête. On marche une heure, deux heures... On rencontre un vieux tumulus mystérieux, ou une femme de pierre, placée là on ne sait par qui, ni quand; un oiseau de nuit vole silencieusement au-dessus de la terre, et, peu à peu, les légendes de la steppe, les récits de ceux qu'on rencontre, les contes des vieilles bonnes, |